critique de Takeshis'
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Takeshis' tient du passage à l'acte subodoré, de l'immolation sur l'autel de ses névroses d'un cinéaste roublard et décidemment insaisissable. Vaniteux, blasé, cynique et parfois calamiteux (la fusillade balnéaire pourrait créer l'aversion chez les férus de l'élégiaque Sonatine), ce nouvel opus kitanien s'apparente à une amère catharsis là où s'annonçait une hagiographie stoïque et déjantée - Getting Any ? remplissait, à rebours, beaucoup mieux ce rôle. Le prétexte scénaristique se fait schizophrène : Beat Takeshi surnage dans un asphyxiant vedettariat, entouré de femmes, plaisantant avec les yakuzas ou enchaînant pitreries télévisuelles et films au sérieux confondant. Il croise un épicier falot lors d'une audition. Curieusement cet être insignifiant se trouve être son sosie. Il finit par rêver de lui et, dans ses songes, ils fusionnent pour une série d'arabesques clownesques et achroniques. Panégyrique à l'autodérision indéniable Takeshis' ne se différencie finalement que par la forme des germes fondateurs (A Scene At the Sea, Violent Cop, Sonatine ou Hana-Bi) auxquels il fait outrageusement référence. Dans son premier film, le cinéaste usait de l'écho pour signifier que nous étions l'épicentre de notre propre destruction. Et, ici, il adhère de manière analogue à cette topologie des limbes - spirale déliquescente - pour errer au gré de saynètes factices et sybarites à la recherche de son ombre blême. L'abstraction plastique et picturale du long-métrage a de quoi surprendre, entre cubisme, surréalisme et pointillisme. Pourtant, c'est dans la rupture ludique ou le flip intérieur/extérieur que le maître affirme sa bulle. Jadis il renversait les codes de Melville, aujourd'hui il liquide son propre stock après un inventaire tubulaire et abject. Déviance mégalomane et paresseuse ? Sûrement. Paroxysme d'un dérèglement ou d'un tropisme mental ? Plus certainement. Il y a un souffle lynchien dans cet exercice minutieux de démolition, de celui qui balayait Twin Peaks mais sans l'étoffe. Mais Kitano a-t-il encore quelque chose à transmettre tant la seconde partie se refuse au visionnant pour s'enfoncer dans le non-sens et le massacre narcissique : idiosyncrasie et abolition de l'esthétique linéaire jusqu'à l'écoeurement. Dans ce fouillis laxiste autrement plus déprimant que ses précédentes œuvres le cinéaste japonais se complaît dans une danse frénétique - univers mental renforcé par une troupe d'habitués dont Kayoko Kishimoto en femme-reproche -, une ode au spectacle tel qu'il l'expérimentât dans les cabarets d'Asakusa. Nous sommes invités à savourer la déréliction confondante de l'imposture, soit l'obsession à se mirer sur des miroirs drolatiques, oniriques ou hypocrites. Lorsque l'illusion liminaire implose, le syncrétisme est répudié au profit d'une concaténation décousue, et un avatar protéiforme de prendre vie. On touche à la strate la plus cauchemardesque quand Beat Takeshi renie toute séduction pour livrer une virée nocturne dérangeante. Le kamikaze y slalome entre un monceau de macchabées et susurre une bribe de vérité esseulée : dans ce dédale de conscience il a engendré une créature qui ignore jusqu'à son géniteur et se rappelle à son bon souvenir par un coup de poignard. L'incohérence devient alors la clé de voûte de cette stase grotesque et poisseuse. Et dans ses replis caricaturaux se love une rare fulgurance des anciennes réussites, la jeune lycéenne fan du cinéaste s'écroule terrassée par une balle en murmurant pour la première et unique fois un " Kitano-san " entre déférence et lucidité. Tout est désormais à reconstruire pour ressusciter cette candeur. |
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