Mai 99. L'épidémie a contaminé l'ensemble des Etats Unis, avant de se propager au reste de la planète. Rien n'y resiste. Des cadres supérieurs aux skaters péroxidés, des medias aux magasins de jouets en passant par les boites de céréales, la machine est en marche, lentement mais sûrement, gangrenant les dernières heures du XXème siècle comme un virus infectieux. Il sera donc intéressant de se pencher sur la stratégie conquérante de Lucas, et ainsi remettre en cause la candeur artistique de sa démarche.
Act I
Une vingtaine d'années en arrière, Lucas délivra Star Wars, le premier western médiéval intergalactique qui, malgré ses effets spéciaux limités, marqua d'une trace indélibile l'horizon cinématographique, mettant la science-fiction à portée de tous. Là où Kubrick ou Bradbury utilisaient le futur pour répondre aux questions qui hantent l'homme moderne, Lucas offrit un conte de fées où une technologie avancée lui permettait d'assouvir tous ses rêves de gosses. Le réalisateur n'était alors qu'un enfant gâté au pouvoir de projeter ses rêves sur grand écran.
Marketing et Merchandising n'en étaient à ce moment qu'aux balbutiements, une poignée de figurines simplistes accompagnant la sortie de La Guerre des Etoiles.
Par contre pour le financement Georges Lucas réussit un coup de maître. Les studios n'ayant que peu de foi dans le film, il cède 500.000$ de sa rétribution contre les droits pour d'eventuelles suites et sur le merchandising.
Act II
Sortie de L'Empire Contre-Attaque, qui relance la machine pour un épisode de transition. Alors que Star Wars n'était qu'un film de divertissement, ce film a des prétentions philosophiques, à travers un nain vert aux oreilles pointues. Lucas y prêche d'abord un monde à deux dimensions, le bien & le mal, symbolisés par un chevalier blanc et un chevalier noir (tout comme les films moyennageux des années 50). Le deuxième message prétend que l'homme peut obtenir ce qu'il désire à "force" d'obstination et de travail. Enfin, Lucas démystifie un démon: "Size does not matter (la taille ne compte pas) contredisant un certain géant vert (non pas celui du maïs) une quinzaine d'années plus tard.
Le film en lui même est long et ennuyeux et n'a de prétexte que de servir d'en-cas entre La Guerre des Etoiles et la conclusion de la trilogie.
Côté Marketing, on passe du minimum à un plan développé, le succés du premier acte ayant suscité une attente. Posters, bandes annonces, BD, t-shirts, vaisseaux et figurines (dont le sabre laser autrefois prolongement rétractable de la main devient son propre accessoire).
Pour le financement du film, Lucas, maintenant seul maître à bord, a réinvesti ses gains de Star Wars devenant donc son propre producteur indépendant.
Act III
Le Retour du Jedi achève la trilogie dans la "dé-bâcle", ormis au box office.
Le film, qui redéfinit les notions du vide, n'offre qu'un enchaînement de scènes d'action, bradant à la va-vite les espérances succitées par ses prédecesseurs. Le film marque l'assèchement de l'inspiration de Lucas, n'étant qu'un remake à gros budget de La Guerre des Etoiles: scènes de désert, batailles spatiales, et attaque finale de l'Etoile de la Mort y sont récurrentes.
Le film est par contre un phénoménal succés marketing. Posters, casquettes, draps de lit, tasses, caleçons à l'image de Chewbacca envahissent tous les rayons des supermarchés. Lucas qui a bien compris que le licensing est une "vache à lait" trés rentable au coût dérisoire, a donc façonné son film pour les enfants, principaux acheteurs des produits dérivés (depuis 1977, le merchandising a généré 4,5 milliards de $ de vente). Ainsi à l'absence de scénario, et aux adorables Ewoks s'ajoute une violence feutrée, contrastant avec le côté plus western du premier (main coupée, destruction de planète, anti-héros Han Solo). Les figurines prennent aussi possession des chambres d'enfants, la gamme s'aggrandissant au moindre personnage ayant plus de 2mn de présence à l'écran.
Act IV
Afin de relancer l'intérêt pour la saga, Lucas, plongé dans l'écriture de l'épisode 1, ressort la trilogie, préparant le terrain pour The Phantom Menace. Les quelques minutes ajoutées à la triologie ne servent que de prétexte à sa ressortie afin de relancer un phénomène d'attente pour son Phantom.
Ceci permet aussi de reprofiter du merchandising, les figurines faisant peau neuve (comble de réalisme, les sabres auparavant en plastique de couleur uniforme sont desormais dotés d'un tube translucide et coloré représentant le laser).
Pour le financement du film, Lucas, a de nouveau réinvesti ses gains du précédent épisode.
Act V
Le premier épisode arrive enfin. La stratégie, plus sournoise, est à plusieurs niveaux.
Lucas
L'homme se présente comme le sauveur du cinéma, "mettant en scène sa crédibilité".
- En tant que réalisateur: Aprés des années d'absence, il revient comme pour montrer que seul un projet de cette qualité pouvait le faire sortir de son sabbat. Pourtant, Lucas n'est pas Kubrick ou Malick et n'existe qu'au travers de sa trilogie, mais pas en tant que réalisateur.
- En tant qu'indépendant: Il pose d'abord comme un ermite vivant à l'écart d'Hollywood. Si San Francisco n'est pourtant qu'à 45mn d'avion d'Hollywood, il a raison sur un point. Il ne fait pas partie d'Hollywood, il est Hollywood. Sa trilogie a inventé les blockbusters et le marketing planétaire (pour ne pas dire interplanétaire) et sa participation à une autre trilogie célèbre, Indiana Jones place six des films auxquels il a participé dans le top 20 des plus gros box-office. Son système de son THX est aussi devenu standard dans les salles de cinéma. Il pose ensuite comme l'homme qui a mis les studios à genoux. Certes, fait rare, il est son propre producteur et distributeur, mais ses méthodes n'ont rien à envier aux "méchants" studios. Un chantage contrôlé limite la sortie du film aux salles répondant à certains critères de qualité, dont le son THX. Son studio d'effets spéciaux est aussi utilisé par Spielberg, Cameron et Howard Les petites chaînes ou salles sont ainsi balayées. Enfin, au niveau technique, vous serez surpris d'apprendre que l'équipe a dû accepter des coupures drastiques de salaire et un exil de quatre mois dans le désert
- En tant que créateur: Lucas justifie son indépendance pour des raisons artistiques. Mais risquait-il vraiment un coupage de son film? Il y avait-il matière à choquer? A moins qu'Obe wan ait opté pour une interprétation trés personnelle d'un maître Jedi hermite naturiste.
Plan Marketing
- La Bande Annonce: Elle a bénéficié d'un appui médiatique presque comparable à la sortie d'un film, et a poussé des hordes de geeks à débourser $8 pour 1mn d'extraits.
- Les jouets: La sortie des jouets (il possède 15 millions de parts d'Hasbro qui lui a versé une avance de 100 millions de $ pour les figurines), et du reste du merchandising, a aussi eu sa propre date de lancement, le lundi 3 mai à minuit une. On pouvait ainsi voir un étrange microcosme de jeunes adultes mais aussi personnes de 40 ans et plus faire la queue devant Toys'R Us à une heure si matinale. L'aprés-midi continuait par une course de magasin en magasin, chaque fan prêt à compléter sa collection à tout prix (seuls le manteaux de fourrure de Wookie manquent à l'appel). On pouvait donc assister à des scènes surréalistes où des hommes d'affaires distingués discutaient figurines avec de jeunes adolescents en shorts. Et pour vous donner une idée de l'obsession, citons cet échange:
Le jeune dude (20ans): "J'ai déjà les 15 nouvelles figurines, mais il me manque le pistolet laser qui est super cool"
L'homme d'affaire (45ans):"Le mieux c'est d'aller à KMart. C'est là où il y a le plus de choix et les prix les moins chers." Et le groupe de dudes se ruer vers leur voiture pour foncer à KMart.
- Le Plan Médiatique: Des chaînes de tv aux magasines, avec cette fois-ci le considérable support d'un nouveau media: l'Internet.
- La Projection limitée: Dotées d'une sécurité digne d'un chef-d'état, les projections ont été limitées, les critiques devant de plus respecter un silence de quelques jours. On notera que c'est le genre de méthode employée par les studios lorsqu'ils craignent un mauvais buzz. Vu que Lucas, à part pour La Guerre des Etoiles a généralement toujours récolté une critique négative, et qu'il n'aura échappé à personne que The Phantom Menace semble être une compilation des trois précédents (je veux dire des trois futurs, enfin vous m'avez compris), eux même s'autocompilant, cette stratégie parait destinée à limiter tout mauvais bouche-à-oreille avant la sortie.
- Le Film: Il est paradoxalement le plus et le moins important maillon de la chaîne. Il est important, mais pas comme vous croyez. Il n'a, en effet, d'existence qu'en matière de box office. La question n'est pas est-il bon, ce dont tout le monde se fout, puisque tout le monde ira le voir, mais battra-t'il Asterix contre Cesar, euh pardon, je voulais dire Titanic.Il es t aussi le maillon le moins important de la chaîne, car vous l'aurez compris, il ne sert de pretexte qu'à tout ce qui l'a précédé mais aussi à tout ce qui l'entourera.
Je vous laisse donc sur cette question cruciale: The Phantom Menace vendra-t'il assez de figurines?