Avec : Maryam Karimi, Emmanuelle Laborit, Jerôme Horry, Nour Elsherif
Durée : 2:10
Pays : France
Année : 2002
Web : Site Officiel
|
|
« Onze cinéastes, onze regards impliquant leur conscience individuelle » … Telle est l'exergue du film collectif sur les événements tragiques survenus il y a un an à New York et qui ont bouleversé à jamais l'ordre, déjà troublé, du monde.
De grands cinéastes, aux approches très personnelles, oscillant entre didactisme, relativisme ou purs moments de cinéma, se sont ainsi prêtés à l'exercice quelque peu figé du film à sketches. En tout cas, nulle commémoration pontifiante et solennelle de cet événement historique n'était au rendez-vous. C'est l'une des grandes qualités de ce film.
Et c'est bien là que le bât blesse pour les Etats-Unis qui ont choisi de ne pas distribuer ce film, avec le prétexte avoué de ne pas réveiller chez le peuple américain déjà suffisamment meurtri, un traumatisme insurmontable.
A la vision de ce collectif, on comprend rapidement que le ton polémique et militant de certains essais détonnaient avec le recueillement de toute une nation. Les Etats-Unis sont renvoyés à leur responsabilité dans la tragédie du 11 septembre par des cinéastes comme Loach. Ce dernier livre l'un des plus éloquents segments de ce film protéiforme. Il établit un parallèle avec un autre 11 septembre : celui qui vit en 1973 l'assassinat de Salvador Allende et la répression dans le sang du communisme. Images d'archives à l'appui, les exactions commises (avec le soutien de la CIA) envers le peuple chilien sont dénoncées avec force et émotion. Meurtres, viols, tortures et avènement de Pinochet au pouvoir, telles furent les conséquences désastreuses de la politique d'ingérence des Etats-Unis en Amérique latine. La liaison entre ces deux dates se fait par le biais d'une lettre écrite par un chilien condamné à l'exil, à destination d'amis américains. Ce pamphlet implacable constitue un choc.
La talentueuse Samira Makhmalbaf donne, quant à elle, une leçon de relativisme. On retrouve la figure de l'instituteur, récurrente dans son cinéma. Ici, c'est une femme qui s'emploie à éveiller les consciences de ses jeunes élèves, réfugiés afghans, pour qui la destruction des tours jumelles est bien lointaine.
Idrissa Ouedraogo opte pour la fable ironique, empreinte d'un humour irrésistible : de jeunes gamins sont convaincus d'avoir vu Ben Laden à Ouagadougou ; ils fomentent un plan pour le capturer et obtenir la récompense de 25 000 dollars promise par les Etats-Unis. Avec cet argent, ils échafaudent des rêves de progrès social, notamment en matière de santé. La mère du jeune héros est rongée par un mal incurable dont on imagine qu'il s'agit du sida…
Il était intéressant d'avoir le point de vue d'un américain sur la tragédie. Sean Penn s'y emploie avec maestria et offre un vrai moment de cinéma, nimbé de poésie. Un vieil homme vit dans le souvenir de sa défunte femme, la fétichise. Ses journées s'écoulent, monotones, jusqu'au jour où les tours s'écroulent à proximité de l'appartement dans lequel il vit. La lumière pénètre dans ce sanctuaire et le renvoie à une terrible prise de conscience, celle de la perte.
De belles réussites certes, mais qui cohabitent avec des ratés signés Chahine (sentencieux, nombriliste et moralisateur), Gitaï qui, contre toute attente, verse dans la caricature ou bien encore Lelouch, au romantisme surfait (« la fin d'un couple, c'est comme la fin du monde » dit l'héroïne). Ce dernier met en scène les amours d'une malentendante (Emmanuelle Laborit) avec un guide américain. Pourquoi avoir choisi de mettre en scène la surdité, alors que, s'agissant du 11 septembre, on penserait davantage à l'aveuglement ?
Et c'est là qu'intervient le meilleur segment de ce collectif, signé par le mexicain Alejandro Gonzales Inarritu, auteur de l'excellent Amours Chiennes. Le cinéaste nous prive purement et simplement d'images, celles qui ont été diffusées ad nauseam. Ce parti pris de l'écran noir, crevé par des trouées aveuglantes de lumière où l'on voit des individus se jeter dans le vide, ravive toute l'horreur de ce jour effroyable. Adoptant une démarche expérimentale toute en radicalité, Inarritu donne à entendre la bande son, très dense et saisissante, des événements. Se superposent les cris, les derniers appels passés aux proches, des litanies… C'est glaçant, violemment émotionnel et profondément intelligent. Une phrase sur fond de brouillard blanc clôt cette section implacable : « Does God's light guide us or blind us ? ». A méditer.