Situé à Mexico, Amores Perros est le premier film du réalisateur mexicain Alejandro Gonzalez Inarritu. Dans une mégalopole où 21 millions de personnes partagent l'espace urbain avec près d'un million de chiens errants, il est inévitable que les deux se rencontrent. Au centre d'Amores Perros se nouent des relations, qu'elles soient entre des humains et des chiens, entre amoureux, frères, membres d'une famille, ou plus simplement des relations économique ou politique. Un violent accident de voiture entrelace les vies de trois groupes de personnes et de leurs chiens, tous essayant de survivre à leur propre solitude. Au final, leurs actes de bonté et leurs actes de brutalité auront des conséquences inattendues.
Le film est divisé en trois parties. Dans le graveleux "Octavio et le Susana" nous rencontrons un jeune homme (Gael García Bernal) amoureux de l'épouse de son gangster de frère (Vanessa Bauche). Afin de financer leur évasion et une nouvelle vie, Octavio fait concourir son rottweiler dans des combats de chiens aux paris lucratifs.
L'histoire de "Daniel et Valeria ", plus superficielle, présente un homme (Alvaro Guerrero) qui quitte son épouse et ses enfants pour vivre avec un mannequin espagnol (Goya Toledo) dont le visage et les jambes sont l'emblème d'une campagne publicitaire pour un parfum. Mais la vie devient moins enchanteresse lorsqu'un accident de voiture la laisse avec une jambe amputée et que son chien disparaît au-dessous du parquet de leur appartement.
Enfin, "EL Chivo et Maru" est le récit le plus intense. EL Chivo (interprété avec un stoïcisme bouleversant par Emilio Echevarria) est un clochard qui vit avec une bande de chiens et gagne sa vie en exécutant des contrats pour un policier corrompu. L'homme qui avait abandonné son épouse et son enfant pour devenir un guérillero et et qui avait passé près de vingt ans en prison, essaye de reprendre contact avec sa fille Maru, qui le croît mort.
Ce film a injustement été comparé à Pulp Fiction à cause de sa violence et à la panne de voiture qui réunit les trois récits. Une comparaison plutôt baclée qui n'a que peu de raisons d'être puisque la violence joue ici un rôle très différent. Alors que dans Pulp Fiction elle avait un deuxième degré ironique qui lancait un clin d'oeil au spectateur pour voir si il avait perçu la plaisanterie, elle est dans Amores Perros brutale, douloureuse et jamais spectaculaire. On s'amusera néanmoins que le film clame qu'aucun animal n'ait été blessé durant le tournage alors que la violence contre les humains ne nécessite aucune explication.
Le personnage d'EL Chivo démontre la dualité. Dans une scène où il lit le journal, il déchire la page parlant du meurtre qu'il a commis pour ensuite tomber sur l'avis de décès de sa femme. Lorsqu'il sauve le chien Cofi de l'épave de la voiture, il amène au sein de son foyer un animal sauvage qui tuera tous les autres chiens pour se retrouver son seul compagnon. La constation cruelle des effets de la violence est alors bien réelle.
L'économie et le statut social jouent aussi un rôle important dans le film. On y trouve deux fois le thème d' Abel et Caïn. Octavio et Ramiro se dédaignent, mais essayent également de sortir de leur basse position sociale. Ramiro vole des pharmacies la nuit et travaille comme caissier le jour. Le voir derrière sa caisse enregistreuse, tout souriant et serviable, rend sa fureur d'autant plus palpable. Si il est plus facile d'aimer Octavio, il n'est guère plus propre que son frère. Celui-ci utilise son chien dans un but lucratif et n'a aucune hésitation à se venger dés qu'il en a l'occasion.
Dans une intrigue secondaire au chapitre d'El Chivo, un riche homme d'affaire commandite le meurtre de son partenaire pour découvrir plus tard qu'il n'échappera pas à ses actions. EL Chivo les humilie en fait tous les deux, puis vend leurs voitures de luxe pour de l'argent comptant.
Quant à Valeria et à Daniel, nous sommes d'abord témoins de ce à quoi ressemble le fantasme de tout homme pris dans une crise de la quarantaine. Après l'accident qui laisse Valeria amputée, on s'aperçoit que Daniel n'a pas les moyens de mener la vie qu'il a choisie. De plus, le grand appartement bourgeois qui recèle une multitude de rats sous le plancher dénote d' une certaine détérioration de la prétendue classe "supérieure".
Les aspects à la fois universels et uniques du Mexique rendent le film d'autant plus intéressant. D'une part, ce film aurait pu être tourné n'importe où; la précarité économique est aussi bien visible à Los Angeles ou à Sao Paulo. D' un autre côtés, on y trouve des thèmes très "mexicains". Même les spectateurs connaissant l'espagnol auront des difficultés à pénétrer le film, l'argot utilisé y étant si spécifique.
Il y a des références à la corruption de la police, au mouvement Zapatiste, aussi bien qu'aux luttes idéologiques du passé. L'idée d'Octavio Paz du "labyrinthe de la solitude" vient à l'esprit du fait de l'importance de la fureur et de la solitude dans le long métrage. Certaines allusions nécessitent de s'être imprégné de cette culture pour être comprises.
Tandis que la liaison entre le mannequin et l'homme marié pourrait se produire n'importe où, le fait qu'elle soit une espagnole blonde qui ait réussi au Mexique et se retrouve placardée dans toute la ville n'est pas une coïncidence. Amores Perros n'est pas pour autant une parabole sur l'héritage colonial. En dépit des divisions, il montre un monde moderne dans lequel nous sommes peu confortables. Dans l'histoire d' EL Chivo nous voyons un personnage qui parvient à maintenir sa dignité alors qu'il part à pieds dans un paysage désolé.
Le jeu des acteurs est excellent. L' EL Chivo d'Emilio Echevarria restera dans les annales tandis que le reste de la distribution s'accorde bien. Combiné avec une histoire forte et une réalisation parfaitement maîtrisée, le résultat ne peut qu'impressionner. La comparaison avec Pulp Fiction n'est alors pas vaine si l'on considère qu'un nouveau genre de film au dialogue original vient de naître sous nos yeux.
À un moment, Susana dit à Octavio, "Si vous voulez faire rire Dieu faites-lui part de vos plans". Amores Perros est le constat que quelque soient les décisions prises, le destin peut en décider autrement. Outre cette ironie du sort, le film prend un malin plaisir à trouver un humour absurde dans les moments les plus sombres. Alejandro Gonzales Inarritu a réalisé un film prenant dont les images ne vous quitteront pas de si tôt.