Avec : David Wissak, Katia Golubeva
Scénario : Bruno Dumont
Durée : 1:59
Pays : France
Année : 2003
Site Officiel : Twentynine Palms
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Présenté au dernier festival de Venise Twentynine Palms ne manqua pas de déclencher les plus vives réactions. Mais beaucoup semblent oublier qu'ils sont face à un film de Bruno Dumont et que ce cinéaste n'en est pas à son premier remous. Son dernier film L'Humanité, qui avait été présenté à Cannes en 1999, avait alors choqué une bonne partie de la Croisette.
Il serait difficile de raconter l'histoire de Twentynine Palms (c'est le nom d'une petite ville) pour la seule et unique raison qu'il n'y en a pas. Le point du départ du film est simple. Bruno Dumont nous présente un homme prénommé David, photographe de profession, qui doit faire des repérages dans la région de Joshua Tree en compagnie de sa petite amie, Katia. A partir de là le réalisateur français nous fait suivre durant près de 2h l'errance de ces deux êtres dans le désert américain (on pense souvent à Zabriskie Point d'Antonioni), puis dans leur chambre d'hôtel, puis au supermarché, etc. Bref la banalité du quotidien.
Ce qui frappe d'emblée dans le film c'est la beauté plastique des plans. Une beauté presque terrifiante. En optant pour le format scope Bruno Dumont ramasse le fond c'est-à-dire le décor, le paysage dont l'immensité écrase peu à peu notre couple. Cette immensité fait peur car il ne s'y passe rien. En peinture on sait qu'il y a eu plusieurs mouvements et certains d'entre eux ont révolutionné l'histoire de l'art. Là je pense évidemment à Malevitch quand il peignit le fameux Carré Noir. Cette œuvre marqua une profonde rupture et Malevitch montrait que la peinture ce n'était pas simplement de la figuration mais également de l'abstraction. Chez Bruno Dumont c'est pareil. En fait, à y regarder plus près, il prend le contre-pied total de ce que ce veut être le cinéma c'est-à-dire remplir un espace. Bruno Dumont, lui, décide de le vider.
Vider l'espace puis le sonder. Comment ? Par le son. Constamment que ce soit à la piscine où on entend en arrière-fond le bruit des voitures passées, ou le bruit des éoliennes tournées dans le désert, le son se propage dans tout l'espace et parvient ainsi à donner du relief à un paysage qui n'offre rien à David.
Bruno Dumont nous livre une histoire d'amour pas commune. Contrairement à ce qu'on pourrait croire malgré les scènes de sexe très brutales et à priori passionnées, cette histoire d'amour est impossible. Si le vide est si vite présent dès le début du film ce n'est pas un hasard. Lui est américain, elle russe et ils se parlent en français pour communiquer mais ils ne se comprennent pas toujours. Elle n'aime pas la glace tandis que lui l'aime. Elle marche tout le temps sans chaussure alors que lui a de la peine à lui faire l'amour pieds nus. Ainsi l'un des plus beaux plans du film nous les montre couchés sur un rocher tout les deux allongés nus chacun ayant sa tête aux pieds de l'autre. Elle est complètement nue, lui porte ses grosses chaussures, l'accord est imparfait même si à un moment elle lui prend le sexe dans main, la castration est symbolique mais ne suffit pas. Une autre scène sur la fin poussera la symbolique plus loin et aura des conséquences dramatiques et d'une violence rare.
Car Bruno Dumont nous parle également de ce qu'est l'homme (comme dans ses deux précédents films). La nature de l'homme l'obsède et c'est sûrement ici qu'il fait preuve de plus de radicalisme dans le traitement. Plusieurs scènes témoignent de l'animalité qui habite l'être humain. Par exemple à la piscine quand David s'approche de sa compagne tel un prédateur sur sa proie ou encore lorsque David s'accroupit et fait passer dans ses mains du sable comme un singe. Bien évidemment c'est dans les scènes de sexe et de violence que la bestialité atteint son sommet. D'ailleurs les cris de jouissance comme de douleur se ressemblent. L'amour et la mort se retrouvent inexorablement liés (thème kubrickien par excellence). On ne peut être plus pessimiste mais Bruno Dumont n'est pas un fanatique de l'espèce humaine. Son film glace le sang. C'était comme si dans ce décor lunaire où tout reste à faire, à créer, Adam et Eve n'avaient d'autres choix que de courir à leur perte.