critique de Flandres
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La caméra pinceau de Bruno Dumont dessine avec sensibilité les contours de ces paysages émouvants. A l'un, une palette saturée de gris, à l'autre la solarité, l'ensemble se fondant dans un final en apothéose. C'est par le territoire que les personnages adviennent, comme le rappelle Bruno Dumont : " j'ai besoin de la terre pour filmer les êtres humains. En les filmant, les Flandres rendent une part de l'existence humaine. ". Barbe (Adélaïde Leroux) arpente chaque jour la campagne avec Démester (Samuel Boidin), son ami d'enfance agriculteur avec lequel elle entretient une relation charnelle. La jeune femme fragile se donne aussi sans passion à Blondel. Les deux garçons partent pour la guerre, où ils se confrontent à l'horreur. Barbe, malade des nerfs, s'enlise dans la folie pendant leur absence. Démester revient seul d'une guerre dont Barbe sait tout, pour l'avoir éprouvée. Dumont s'était déjà exilé dans des territoires étrangers à la région du Nord, la substance vibratile d'un cinéma épris de picturalité. C'était 29 Palms, une friction aux stéréotypes américains. Dumont évidait le signe, comme ses plans, dans une démarche radicale où il revisitait une mythologie cinématographique. De nouveau, le réalisateur délocalise son cinéma et investit un lieu indéfini (l'Irak ?). La guerre, telle qu'il la figure, devient aussi abstraite que le territoire où elle se joue. Ce n'est pas tant la guerre qui importe que l'idée de celle-ci et ses effets sur les êtres. C'est le sens de deux segments qui alternent, se répondent et s'entrechoquent. Le montage parallèle produit un véritable trouble. Paradoxalement, Flandres trouve dans ses ruptures son harmonie malade. Le projet abouti est tendu de bout en bout par une fièvre et une beauté de tous les plans. Les acteurs, non professionnels, y sont évidemment pour beaucoup. Et particulièrement Adélaïde Leroux, toute de grâce diaphane et de violence rentrée. On a le sentiment d'avoir fait là une grande rencontre. L'actrice est tout simplement immense, dans ses élans et ses silences. Inoubliable même, à la manière des héroïnes bressonniennes dont elle est l'héritière incarnée. Jusqu'alors porté sur le mysticisme, Dumont avait la fâcheuse tendance à icôniser ses interprètes. L'actrice échappe à ce travers et exprime une sensualité inédite dans l'œuvre de Dumont. Ce n'est pas là le seul signe de renouveau qu'on observe, éblouis, dans ce qui apparaît comme le meilleur film de son auteur. Le sexe y est filmé de manière distanciée. Sans passion, certes, mais non plus crûment. Et quand, les deux héros s'avouent leur amour, les mots paraissent bien plus impudiques que les corps. Qu'il s'agisse de guerre ou de sexe, les enjeux sont les mêmes : un territoire à conquérir que se disputent deux parties. La mise en scène prend acte de ce constat dans un film brûlant et qui nous laisse un goût de Flandres dans la bouche. |
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