critique de Le Nouveau monde
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Après la guerre du Pacifique évoquée dans La Ligne rouge, Malick a décidé cette fois-ci de remonter un peu plus loin dans le passé de son pays. En avril 1607, trois bateaux anglais accostent sur la côte orientale du continent nord-américain. Au nom de la Virginia Company, ils viennent établir " Jamestown ", un avant-poste économique, religieux et culturel sur ce qu'ils considèrent comme Le Nouveau monde. Même s'ils ne s'en rendent pas compte, le capitaine Nexport et ses colons britanniques débarquent au cœur d'un empire indien très sophistiqué dirigé par le puissant chef Powhatan. John Smith, un officier de l'armée, est alors aux fers pour insubordination. Déstabilisés, les anglais préfèrent combattre plutôt que de s'adapter. En cherchant de l'aide auprès des indiens, John Smith découvre une jeune femme fascinante. Volontaire et impétueuse, elle se nomme Pocahontas, ce qui signifie " l'espiègle ". Très vite, un lien se crée entre elle et Smith. Un lien si puissant qu'il transcende l'amitié ou même l'amour… Que ceux qui ne connaissent pas encore l'œuvre de Malick se rassurent il ne s'agit pas d'une histoire d'amour des plus convenues qu'il soit entre l'homme civilisé et la femme apeurée et sauvage, ni d'une bluette écologico-pseudo-hippie. Malick c'est bien plus que ça. Tout d'abord Le Nouveau monde c'est l'histoire de la naissance d'une nation, la sienne. L'arrivée des colons sur la terre ferme se fait dans une totale imprudence. Tous débarquent sans se soucier s'il y a déjà une communauté qui habite les lieux. La figure de l'Autre est totalement niée. Ce qui n'est pas occidental ne peut guère trouver grâce aux yeux des anglais. Il est quand même saisissant de voir comment les nouveaux arrivants s'installent comme s'ils avaient été les premiers à trouver cette terre. Mais Malick ne s'embourbe pas pour autant dans l'opposition béate et niaise entre le mythe de Prométhée et le primitivisme, où un humanisme de seconde main s'étalerait dans toute sa complaisance. Le metteur en scène américain, afin de contourner ce type d'écueils, s'engage dans une posture proche de la pensée de Lévinas. A l'instar du philosophe, si Terrence Malick est le défenseur d'un humanisme c'est celui de l'Autre homme, et non celui des droits de l'homme. C'est ainsi qu'il va mettre ses thèmes de prédilection au service de son histoire. A travers la relation entre Pocahontas et John Smith se joue l'avenir d'un monde autant spirituel que physique. Leur rencontre a lieu au milieu d'un vaste champ. Pocahontas apparaît tel un fantôme, comme si elle était sortie de nul part, comme si la nature devenait subitement complice et secondait la femme dans sa venue. On constate alors un lien organique déjà présent entre ceux qui habitent les lieux et l'environnement. Puis vient le moment où Smith est recueilli par la communauté indienne, où celui-ci va peu à peu suivre les rituels de cette micro-société. Et petit à petit c'est un autre lien organique qui va se tisser entre elle et lui. Pour renforcer cet aspect de la relation Malick va opter pour la voix off. Ils ne communiquent pas entre eux directement mais semblent se comprendre uniquement par télépathie. Comme si la pensée du capitaine était branchée sur celle de la jeune indienne, elle-même branchée sur le pôle nature. Malick construit une sorte de chaîne continue entre les organismes. Il ne fait plus de distinction entre l'homme et la nature. Deleuze et Guattari écrivent dans L'Anti-Œdipe " l'essence humaine de la nature et l'essence naturelle de l'homme s'identifient dans la nature comme production ou industrie ". Plus loin les deux auteurs ajoutent à propos de cette production de l'homme qu'il s'agit plutôt de " celui qui est touché par la vie profonde de toutes les formes ou de tous les genres, qui est chargé des étoiles et des animaux même, et qui ne cesse de brancher une machine-organe sur une machine-énergie, un arbre dans son corps, un sein dans la bouche, le soleil dans le cul : éternel préposé aux machines de l'univers ". C'est donc l'affirmation d'un devenir-moléculaire pour l'homme, d'un idéal cosmogonique que Malick fait là. L'eau, l'air, la terre, le feu (sous les traits du soleil) sont réunis dans de nombreux plans. A bien des égards Le Nouveau monde prend des allures bibliques par ce retour aux éléments. Cette longue chaîne que souhaite construire Malick d'un homme à un autre s'affirme dans le départ de Smith pour l'Angleterre. Celui-ci, sans que la transition soit explicitement effectuée, est remplacé par John Rolfe incarné par Christian Bale. La relation entre Rolfe et Pocahontas est dans la stricte continuité de celle avec Smith. Le nouvel arrivant et la jeune indienne vont finir par se marier, par vivre ensemble, puis finalement à mettre les voiles vers l'Angleterre. Les longs jardins à l'anglaise, bien taillés, bien ordonnés, à la géométrie parfaite remplacent les méandres de la forêt. Ainsi la question qui se pose est celle de savoir à quoi se rapporte ce nouveau monde. S'agit-il de celui découvert par les colons anglais ou de la terre britannique sur laquelle Pocahontas arrive ? Cette ambivalence fait partie du dispositif mis en place par Malick. En effet, celui-ci, dans ce mouvement permanent, montre la caducité des points de vue. Les personnages sont en quelque sorte dépossédés de leur raison. Déjà dans La Ligne rouge il y avait une entreprise similaire. Malick avait à sa disposition un authentique casting de stars, mais au final aucun d'entre eux n'avait été utilisé de la sorte, comme s'ils avaient été dépouillés de leur statut. Dans Le Nouveau monde c'est l'homme en tant que sujet qui est remis en question. Celui-ci a beaucoup trop commis de méfaits dans l'histoire de l'humanité. Pour Malick il convient donc de le diluer dans cet espace naturel afin qu'il ne forme plus qu'un, seul chemin nous menant à la sagesse. Le sujet est émietté, réparti en de multiples molécules dans la nature. Le monde est un tout. La vie est partout. Dès lors si nous ne sommes plus de sujets vivants, nous sommes des morceaux de vie. Quand bien même Pocahontas décède à la fin, elle laisse derrière une vie (un enfant) mais aussi la sienne, celle qu'elle a fait devenir avec le monde. Car on devient constamment avec le monde. Deleuze disait : " ce sont les organismes qui meurent, pas la vie ". Belle citation qui définit avec justesse le film.
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