critique de Le Samouraï du crépuscule
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La volonté de Yoji Yamada, chantre des comédies ou des drames populaires, lorsqu'il débutât en 2002 l'adaptation des écrits de Shuhei Fujisawa sous la forme d'une trilogie - dont ce long métrage est le premier volet avant La Servante Et Le Samouraï et L'Âme Du Samouraï - n'était certainement pas l'enluminure obséquieuse d'une hagiographie convenue mais bien la construction minutieuse, tout en retenue, d'un instantané crédible de la vie des castes de l'époque. Sous une égide funèbre - le film s'ouvre sur un deuil neigeux et s'achève sur une stèle vibrante - se déploie ainsi le quotidien terne d'un homme harassé, reprouvant le clinquant des armes et des intrigues pour se complaire dans le noble travail agraire et les servitudes de sa charge. Derrière la voix-off chevrotante (Mémoires D'une Geisha) distillant un scepticisme bardé de mélancolie insiste une dynamique sourde : lenteur exquise et âpre de la narration rappelant la lumineuse simplicité d'un Mikio Naruse (Nuages Flottants, Rêves De Chaque Nuit…). Les rets tremblants de la réalisation ont ceci d'atypiques qu'ils empoignent spectateurs et personnages pour les maintenir aux prises avec leurs contradictions. Les débattements sont d'ailleurs moins gesticulations que savante déconstruction de l'imaginaire collectif. Chaque élément de la mise en scène participe de ce portrait déflationniste du mâle nippon lassé, paradoxal et en placide rébellion - entre Kurosawa et Kitano. Les cadrages précis (composition subtile) et dépressifs (dépouillement rigoureux) semblent rechigner à s'exposer complètement ou durablement à l'écran et les protagonistes cherchent à leur échapper comme à l'écrasant protocole (mouvements mesurés des corps). Le duel au sabre dans une masure maculée et flétrie représente le point d'orgue d'une intrigue dépolarisée. Affrontement désarçonnant et sauvage, la séquence substitue au gré d'un champ de bataille intimiste la parole aux pugilats acrobatiques. Ayant renoncé au physique lorsqu'il s'est départi de son arme, les prouesses bellicistes de Seibei deviennent naturellement étriquées, du domaine de la morale. Dos à dos, face à un abîme spirituel deux êtres opposés dans une jacquerie anecdotique discourent sur les errements de leurs existences, jusqu'à atteindre les sédiments ataviques de l'animalité. En quelques minutes Yoji Yamada aura réussi avec une puissance et une allure inouïes à sonder l'âme du guerrier séculaire pour parachever un long métrage ciselé et, par son abandon intelligent des oripeaux du genre, particulièrement séduisant.
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