Si Sundance a perdu l'esprit indépendant qui a fait sa réputation pour devenir la proie de gros studios en mal de succès au moindre coût, le festival dévoile néanmoins chaque année de nouveaux cinéastes aux oeuvres singulières. Cette année on remerciera donc le festival d'avoir mis sous les projecteurs Memento de Christopher Nolan, un film unique par son montage à l'envers et l'exercice cérébral qu'il provoque chez le spectateur.
Guy Pearce (LA Confidential) interprète un homme frappé d'amnésie et qui, dans la scène d'ouverture, tue un homme. A partir de là, le film se déroule à l'envers retraçant les étapes qui conduirent à un tel acte. Mais au lieu de simplement jouer la carte du "flashback" et repartir du début, le film avance à reculons de scène en scène, obligeant le spectateur à utiliser sa mémoire et sa logique afin de comprendre ce qui se passe à l'écran. Le réalisateur offre néanmoins un fil conducteur pour éviter de perdre totalement le spectateur. Memento est découpé en séquences qui, lorsqu'elles s'achèvent, renvoient à la séquence précédente et ainsi de suite. Deux personnages récurrents incarnés par Carrie-Anne Moss (The Matrix) et Joe Pantoliano viennent brouiller les pistes, et par la même l'esprit du personnage de Pearce. Ce dernier n'ayant aucun souvenir de la veille, base donc ses actions sur des photos polaroïd annotées qui lui servent de mémoire. Mais peut-il vraiment se fier à ses propres notes et à l'interprétation qu'il en fait?
Tout comme Time Code de Mike Figgis, Memento est un film innovateur, un exercice de style réussi qui chamboule les lois de la narrative. Avec un traitement conventionnel, le film n'aurait pas grand intérêt mais devient dans les mains du réalisateur Christopher Nolan un exercice jouissif et une prouesse cinématographique. Le long métrage parvient même à préserver quelques détournements de situation inattendus et choquants qui viennent remettre tout en question. Il est évident qu'un tel film ne s'adresse pas à tout public, vu sa complexité. Mangeurs de pop-corns et autres afficionados de blockbusters estivaux devront passer outre. On appréciera aussi le réel plaisir que le réalisateur prend dans la manipulation de son personnage et du public, injectant quelques touches d'ironie et d'autodérision tirant avantage de la situation.
Grace à la nature imprévisible du film, les acteurs ont la chance de pouvoir jouer dans des registres différents selon l'évolution de l'histoire. Pearce est excellent passant habilement entre confusion et froideur calculatrice. Il porte le film sur ses épaules tandis que Carrie-Anne Moss est aussi convaincante dans les différentes couches de son rôle. Seul Joe Pantoliano semble en faire trop dans son imitation de Joe Pesci.
Memento est sans aucun doute l'un des films les plus captivants qui nous arrive cette année. Un film qui vous ronge, vous amuse, vous séduit et ne vous donnera qu'une seule envie: celle de le voir et le revoir encore.