Avec : Al Pacino, Robin Williams, Hilary Swank, Martin Donovan Durée : 2:00 Pays : USA Année : 2002 Web : Site Officiel

L'Insomnia de Christopher Nolan est une adaptation prenante du film éponyme d'Erik Skjoldbjærg. Au-delà de sa distribution solide et de sa photographie luxueuse, c'est le premier remake réussi d'un film européen et surtout la preuve que des réalisateurs indépendants de talent peuvent élever le niveau du cinéma commercial.

Adaptation libre du film du réalisateur norvégien Erik Skjoldbjærg avec Stellan Skarsgård (TimeCode) dans le rôle titre, Insomnia suit Dormer (Al Pacino), un flic de Los Angeles faisant l'objet d'une enquête interne qui est envoyé en Alaska pour résoudre le meurtre d'une adolescente. Souffrant d'insomnie dans cette région baignée par la lumière du soleil 24h/24, Dormer tue par erreur son collègue (Martin Donovan) dans le brouillard et en fait porter le chapeau au meurtrier qu'il traque. Sa vie et son enquête s'entremêleront étrangement alors qu'il sombre lentement dans une insomnie plus profonde.

Considéré par beaucoup comme un chef-d'œuvre, le film original souffrait pourtant d'un rythme trop lent pour éviter l'ennui et d'un environnement nordique trop « exotique » pour être totalement embrassé par un public international. Astucieusement, cette nouvelle version développée pour Al Pacino a été transposée en Alaska, ne dénaturant ainsi pas avec l'atmosphère originale. Si la présence de l'acteur américain, reconnu pour son talent à travers le monde, apporte de la crédibilité au projet, il est intéressant de noter que Stellan Skarsgård est parfois surnommé le Pacino d'Europe du Nord. Autre différence entre les deux versions, Dormer n'est pas aussi « pourri » que son prédécesseur, un signe qu'Insomnia 2002 lorgne plus du côté d'Hollywood que de l'art-et-essai.

Le réalisateur Nolan, un accoutumé à décrire des esprits confus (Memento), confirme ici son talent en apportant sa vision unique à un film policier traditionnel qui se transforme en véhicule pour un acteur grâce à de multiples références cinématographiques. Insomnia pourrait ainsi être considéré comme l'Unforgiven d'Al Pacino. Dormer est en quelque sorte l'incarnation finale de tous les rôles de flics d'Al Pacino. Insomnia pourrait même être une suite officieuse de Heat de Michael Mann. Dormer est un flic obstiné de Los Angeles sorti seulement du droit chemin pour incriminer un sadique dont le crime allait rester impuni. Le comportement et l'approche stylisée de Pacino rappellent son personnage dans Heat tandis que la cinématographie et la musique sont proches du style visuel de Michael Mann et des ambiances de Moby. De même, les confrontations entre le chat et la souris ont été parcimonieusement planifiées.

Nolan, auquel ces références n'ont pas échappé, les emploie délibérément avec une bonne dose de second degré - par exemple Dormer sonne comme "dormeur" en français - pour créer un film qui dépasse les limites de son scénario. Le fait que Dormer soit un policier de Los Angeles fait sûrement référence à Heat. Cependant, les récents scandales et la pollution auxquels la ville est associée donnent au personnage une sorte d'aura glauque. Observez la scène d'ouverture. Un avion vole au-dessus de la glace dans une lumière blanche surréaliste. La glace symbolise la pureté avec laquelle la lumière baignera Dormer. Contrastant avec l'image de ville urbaine surchargée de LA, les décors - surtout des montagnes - écrasent ce personnage urbain. L'importance donnée à la lumière et au paysage préfigure le changement qu'ils effectueront sur Dormer, l'insomnie en étant le symptôme. Son âme sera nettoyée et il trouvera la rédemption. La scène où il tente d'échapper par la fenêtre mais se voit stoppé par la lumière - le confrontant ainsi avec ses actes - en est l'illustration. L'insomnie représente le réveil de ses remords et il ne pourra retrouver le sommeil qu'après avoir fait la paix sa conscience, trouvant enfin la rédemption. Comme dans un passage biblique, il sera d'abord testé dans le brouillard (opposé de la lumière) dans lequel il tue son ami ; un symbole de son côté sombre.

La réalisation de Nolan est parfaitement contrôlée. Le rythme, plus lent que l'habituel cinéma Hollywoodien, est en phase avec l'état d'esprit de Dormer mais évite l'ennui en s'accélérant dans les scènes d'action. La photographie est splendide, apportant une certaine beauté froide à l'ensemble.

Insomnia est un film psychologique avant-tout. Al Pacino, au meilleur de sa forme, incarne une âme torturée qui intériorise la souffrance au lieu de céder à d'habituelles explosions de colère. Il est entouré de seconds rôles conséquents, de Martin Donovan (un habitué de Hal Hartley) à Hilary Swank. Autre « torsion » aux références cinématographiques, un écrivain bien tranquille peut s'avérer être un meurtrier tout comme un clown (Robin Williams) peut interpréter un tueur. Si Robin Williams n'est pas Robert de Niro, son minimalisme combiné aux traits de son visage créent une sensation de malaise autour de son personnage. Nous sommes heureusement bien loin de ses derniers films et interprétations (toutes aussi monstrueuses que ses crimes dans Insomnia) et lorsque Al Pacino le coince une fois pour toutes, le grand acteur nous venge pour tant d'années d'atrocités cinématographiques perpétrées par Williams.

Après Steven Soderberg ainsi que Peter Jackson et Sam Raimi à un moindre degré, Christopher Nolan est le tout dernier réalisateur indépendant à apporter un peu de décence aux grosses productions d'Hollywood. Vous ne voudrez pas vous endormir dans cet Insomnia.

  Fred Thom

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