critique de Perhaps Love
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Il existe deux raisons majeures pour se lancer dans le visionnage de Perhaps Love : sa mise en scène emphatique et poignante d'une part et son actrice chavirante, Zhou Xun, d'autre part. Si il est bon de préciser ces qualités en introït c'est que les scènes chorégraphiées et chantées - cirque bollywoodien digne de l'hideux Moulin Rouge - et la structure inutilement alambiquée pourraient masquer les indéniables flamboyances de ce mélodrame certes inopinément lacrymal mais étonnamment protéiforme. Nous sommes ainsi saisi d'emblée par une mise en image minée de paradoxes accolant les instants les plus intimes aux extravagances les plus kitsch, l'ampleur archétypale à la souplesse des césures, les ruptures de tons à une symbolique éculée (neige, eau, froid) ou une opulente lubrification à une sécheresse sclérosante. La magie opère dès la conférence de presse où le flux visuel haché stigmatise la tension des retrouvailles des anciens amants, ou comment le tissu fictionnel se collapse au contact de sentiments enterrés, au point de s'ajourer. Peter Ho-Sun Chan - producteur de l'inénarrable Nouvelle Cuisine ou plus prosaïquement de l'indigent The Eye - insiste en s'appesantissant confusément sur la dimension gigogne du scénario - un Mr Loyal superfétatoire présente ses scènes coupées, soit un tournage dans un tournage - et son film se découvre des accointances non pas avec La Saveur De La Pastèque comme les intermèdes musicaux pouvaient le laisser supposer mais avec le soyeux Center Stage de Stanley Kwan. Même vénération face aux crocs acérés du modernisme d'un art désuet, d'une innocence déflorée (le muet dans l'un, l'âge d'or des Huangmei Diao dans l'autre) et d'une égérie glamour tourmentée. Il faut entrapercevoir là le véritable enjeu du long métrage : se colleter avec la matière déchirante du souvenir pour acquérir une légitimité d'existence, se conférer un réel attrait. Voici une œuvre obsédée par la polarité fantomatique du passé et qui se mire en permanence pour parvenir à s'aimer. Moins affectée qu'il n'y paraît mais noire, crasseuse, toute entière vouée à sa substance déliquescente jusqu'à devenir pure dégénérescence (la vengeance cruelle engendre une dernière partie s'égarant en bribes éparses). Le choix de deux directeurs photo contrastés pour les deux époques et cités charpentant le récit (Christopher Doyle et Peter Pau) parachève la représentation de l'ambivalente et frustrante aberration du désir amoureux. C'est alors sans réserve que le spectateur s'abandonne à l'envoûtante Zhou Xun qu'il avait déjà adorée à chaque plan de Suzhou River. Même présence spectrale et énigmatique abolissant espace et temporalité que le réalisateur choisi de creuser en se focalisant durant la première moitié du long métrage uniquement sur son visage, ombre lancinante d'une enveloppe charnelle évanouie. Ainsi sa figure se découpe dans l'obscurité d'une salle de cinéma, au-dessus de la surface de l'eau, derrière la vitre éclaboussée d'une voiture ou d'un bus. Et lorsque la carence du corps (pulsions et jouissance) devient insupportable le sexe explose dans le seul numéro de comédie musicale méritant le détour, enragé et torve. Si l'on ajoute que les deux héros masculins ont fait leurs classes chez Wong Kar-Wai (Chungking Express, Nos Années Sauvages) il est aisé de saisir la tessiture confondante d'intensité de ce trapèze qui, malgré des longueurs, nous propulse vers les cieux pour, en une fulgurance, nous abandonner, nous précipiter dans l'abîme.
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