Avec : Leonor Silveira, John Malkovich, Catherine Deneuve, Irène Papas
Scénario : Manoel de Oliveira
Titre Original : Un filme falado
Durée : 1:36
Pays: Italie/Portugal
Année : 2003
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A 95 ans un cinéaste comme Manoel De Oliveira n'a plus rien à prouver tant son œuvre a été reconnue par-delà le monde. Pour autant, le metteur en scène portugais ne finit pas de nous étonner comme il le prouve avec son nouveau long-métrage Un Film parlé. Un Film parlé ? Pourquoi parlé alors que depuis plus de trois-quart de siècle le cinéma est parlant ? En fait ici le mot parlé remplace le mot filmé dans le sens où on sait que par définition même « un film est filmé » ; chez De Oliveira « le film est parlé ».
Et de paroles il y en a beaucoup dans le film. Un Film parlé raconte l'histoire d'une mère de famille, professeur d'histoire à l'université, qui part en croisière accompagnée de sa fille pour rejoindre le papa en Inde. Les escales se nomment Marseille, Naples, Istanbul, Pompéi, Athènes… Autant d'endroits aussi magnifiques les uns que les autres, aux paysages splendides et aux monuments historiques majeurs. Ainsi aux questions incessantes de sa fille, la mère répond sans difficulté avec extrêmement de précision qu'il s'agisse de la pyramide de Kheops ou des origines de la cité phocéenne. Pris dès le départ dans ces successives logorrhées didactiques, la lassitude pointe le bout de son nez. On sait que Manoel De Oliveira est un cinéaste du verbe mais son dispositif narratif va trouver là sa limite. On se demande alors pourquoi les édifices évoqués ne sont pas filmés plus souvent à leur juste valeur.
Puis à mesure que la pellicule se déroule la démarche de l'auteur portugais s'affirme. Au détour de quelques discussions on comprend que tous ces monuments historiques ne sont que les vestiges d'un passé. Voilà pourquoi la dalle sur laquelle est inscrite les origines de la fondation de Marseille est masquée par la mère et la fille pendant quelques minutes, voilà pourquoi le Sphinx au Caire est réduit à un simple arrière-plan, voilà pourquoi nous ne verrons pas l'intégralité du Parthénon. Les multiples leçons d'histoire tenues par la mère à sa fille deviennent alors la seule force invocatrice de ces lieux qui font désormais partie de la mémoire collective.
Manoel De Oliveira effectue toute une série d'interrogations pertinentes sur nos origines et sur l'évolution de l'Histoire. Dans la séquence du dîner mettant en scène la femme d'affaire, l'actrice, la chanteuse et le capitaine du bateau, De Oliveira imagine ce que serait devenu le monde s'il avait été dirigé des femmes, il se demande pourquoi la langue grecque ne s'est pas répandue dans toute l'Europe puisque ce peuple fut la civilisation fondatrice du monde occidental (c'est ici qu'est née la démocratie) et en faisant parler chacune des personnes dans sa langue d'origine tout en se comprenant les unes les autres comme si elles avaient toujours connues leurs langues respectives ranime la vieille utopie babélienne.
Manoel De Oliveira nous fait donc partager sa vision désenchantée du monde actuel. Dans quel état est-il ? Le metteur en scène portugais n'y répond pas véritablement. Il préfère filmer l'horizon de la mer ou le bateau illuminé pendant la nuit (on pense alors au bateau d'Amarcord de Fellini), autant d'éléments dans le film qui constituent des contre-points poétiques tranchant avec l'image que peuvent renvoyer nos sociétés contemporaines. Et puis finalement l'on se dit que le film n'est pas si pessimiste qu'il ne le laisse prétendre, qu'il y a un espoir comme l'illustre si bien cette petite fille qui, absorbant avec intérêt les paroles de sa mère, pourra à son tour transmettre à ses enfants ce qu'elle a appris de sa mère. Mais l'inquiétude de Manoel De Oliveira finira d'emporter le morceau dans une ultime scène d'une intensité dramatique particulièrement forte où tous les espoirs seront réduits à néant. Cet incident nous ramène inévitablement au temps présent. Et après ? L'avenir reste incertain. A l'image de cette proue de bateau, véritable leitmotiv du film, qui, fendant l'eau, avance sans jamais s'arrêter vers un inconnu dont on peut déjà avoir peur.