critique de La Vie secrète de Madame Yoshino
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La veuve Michiyo Yoshino se livre à un lucratif commerce en confectionnant des poupées de papiers de personnages de théâtre kabuki. Pourtant entre les attouchements de son revendeur libidineux ou le comportement aguicheur de sa fille, Takako, qui tendrait à se dissiper par une communion incestueuse les vicissitudes ne manquent pas. D'autant que le pesant souvenir d'un viol subi dans sa jeunesse la torture. Or Takako tombe en pamoison devant le fils de cet ancien agresseur et le mental de Mme Yoshino de vaciller dangereusement. Après le fétichiste et féroce Une Femme A Sacrifier (1974) la sortie de La Vie Tourmentée De Madame Yoshino (1976) permet d'affiner notre perception de l'œuvre captivante de Masaru Konuma. Ancien assistant de Seijun Suzuki et futur maître d'Hideo Nakata il parvient à mettre en scène un conte pervers, ataraxique et intensément érotique sans qu'une once de recul, de tabous ou de cynisme autorise le spectateur à échapper à son emprise. Voici la gageure scandée à chaque plan que d'agréger la nudité crue des actes sexuels avec une insistante stimulation mentale (graphisme, rythme…). La verticalité et la rectitude (poupées élancées, interprètes esseulés dans un cadre dépouillé, agencement des décors) devenant sacerdoce afin de retranscrire les reflets dissolus et les fantasmes en charpie de l'héroïne. L'auteur entend ainsi superposer les strates éparses de l'inconscient - éclats du miroir dans la phénoménale scène finale - d'une évanescente - image tout en rondeur, nimbée d'humidité - et caniculaire rivalité féminine mère/fille, entre soumission et domination, pour renouer avec un plaisir primal idoine à la fusion avec l'univers ambiant (cloisons ajourées). Les représentations abondent : apposition de modernité et de traditionalisme fané (kimono, thé…), duplication générationnelle ou ablutions marquées par un sein nourricier supplicié. Loin de se cantonner à ce symbolisme à facettes, un fiel invétéré et indicible (jalousie, concupiscence) enfle et entame une étrange reptation plastique jusqu'à l'extrême jouissance du tatouage - explosion des carcans jansénistes et mortifères du bondage dont Naomi Tani demeure l'égérie. Les distances se réduisent et les espaces s'accolent. Deux perles sulfureuses : tout d'abord Takako offrant ses faveurs à son céladon dans une pièce ouverte surplombant l'atelier de sa génitrice puis ce plan hallucinant en contre-plongée où les positions s'inversent pour qu'en contrebas Hideo et Takako se livrent à un coït frénétique tandis que dans une niche au-dessus Michiyo pratique une séance d'onanisme débridée. Finalement Masaru Konuma épouse la dramaturgie évocatrice d'une pièce de kabuki pour imprégner le sexe lancé sans ambages à l'écran d'une fulgurance onirique et pénétrante (percussions stridentes). Ce choix précipite le délaiement d'une psyché (présent et passé s'enchevêtrent) jusqu'au drame, à la fatalité cruelle souillant l'aura projetée : sainte puis pimbêche et enfin dépravée. L'ambigu sentiment d'expiation soupire lorsque la masturbation enchaîne sur une pluie diluvienne ou séminale précédant elle-même la souffrance physique et destructive de l'orgasme (chairs marquées par la culpabilité, un serpent dévorant le cœur). Pour exorciser le viol, transformer les hommes en jouets avilis, le cinéaste retourne aux sources d'un formalisme fait d'extase et de décalages. Cette modalité surannée et diaphane infuse une cure de jouvence bestiale et instinctive comme dans ce plan où un tramway apparaît à l'arrière-plan du personnage, fonce sur lui et ne dévie sa course qu'à l'ultime instant. Désir décadent ostracisé élaborant une atmosphère vivace, ignifugée et étourdissante.
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