Nosferatu - fantôme de la nuit
Réalisé par Werner Herzog
Avec : Klaus Kinski, Isabelle Adjani, Bruno Ganz, Roland Topor
Durée : 1:47
Pays : Allemagne/France
Année : 1979
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Rarement une adaptation ou un « remake » n'a pu égaler une œuvre originale, d'autant plus lorsque celle-ci est considérée comme un classique du septième art. En 1979, le réalisateur allemand Werner Herzog réussit pourtant l'impossible en offrant sa propre version de Nosferatu, un film obsédant d'une grande beauté.
Herzog, souhaitant rendre hommage au film de Murnau qu'il considère comme l'oeuvre majeure du cinéma allemand, pose Nosferatu - fantôme de la nuit comme le chaînon manquant entre l'expressionnisme des années 20 et le cinéma allemand contemporain. Sa préparation se limite donc à l'étude du film et à la lecture du roman, évitant soigneusement les multiples adaptations cinématographiques portant l'étiquette grotesque « Dracula ». En résulte un hommage sublimé où la pellicule et le papier viennent se confondre pour mieux se compléter.
Si pour Murnau, la nature et l'architecture étaient au centre de l'oeuvre, Herzog met au contraire l'accent sur les personnages comme véritables moteurs de l'histoire. Les interprétations de Klaus Kinski (Nosferatu) et d'Isabelle Adjani (Lucie) se doivent donc d'être conséquentes tandis que le personnage de Jonathan Harker (Bruno Ganz) est relégué au second plan. La notion d'espace et le rythme volontairement lent viennent remplacer la nature et l'architecture comme allégories du danger que représente le comte.
Nosferatu - fantôme de la nuit est probablement plus riche en symbolisme que son prédécesseur. Werner Herzog situe en particulier constamment son film entre le monde des morts et celui des vivants, tel un reflet du comte. Dans la scène d'ouverture un long travelling présente ainsi une suite de (véritables) momies, témoins palpables de la mort et annonciatrices de ce qui est à venir. Outre Nosferatu, Lucie est l'autre personnage entre la vie et la mort. Plusieurs indices nous sont donnés, du médaillon avec sa photo et ses cheveux, à sa pâleur et sa robe blanche fantômatiques, en passant par l'attente dans le cimetière. Elle se sait une morte en sursit, ce que son lien télépathique avec le comte semble confirmer. On la voit aussi au milieu des pestiférés savourant leurs derniers moments à une table avant que la scène suivante, où les rats remplacent les convives, ne vienne tout remettre en doute.
Le cinéaste utilise les grandes étendues et la mer comme représentations d'une toile d'araignée que le vampire tisserait autour de ses proies. L'espace devient parfois un personnage à part entière ou une projection de l'âme des protagonistes. Herzog met évidemment à profit l'avancée technologique pour offrir sa propre vision de l'oeuvre. La cinématographie esthétisante et la musique oppressante se marient à merveille pour créer un film à l'atmosphère étrange et envoûtante. Dans les mains d'Herzog les scènes cultes n'ont rien à envier à l'original. Si chez Murnau, le passage entre le monde des vivants et des morts était symbolisé par l'utilisation d'un négatif montrant la calèche dans la forêt, il se fait ici à pied et à travers une grotte où la lumière se fait étrangler, contrastant avec le ruisseau, source de vie. Le premier plan du vampire est plus intimiste mais tout aussi impressionnant. A la fameuse scène de la montée des escaliers, Herzog répond par une fascinante arrivée dans un tunnel dans des tons bleutés puis, une apparente immobilité bien plus dangereuse. La longue traversée en bateau est quant à elle plus inquiétante que l'originale grâce à une impression de pesanteur et à une musique lugubre formant une marche funèbre.
La principale différence entre les deux films réside dans le personnage du vampire. Cruel mais noble chez Murnau, c'est un être vulnérable et triste chez Herzog. Le Nosferatu de Kinski est d'abord androgyne et bisexuel. Signe des temps, il éprouve une attirance homosexuelle pour Jonathan puis hétérosexuelle pour sa femme. La morsure mortelle qu'il donne à cette dernière a une évidente connotation sexuelle, et célèbre la fin d'une virginité. Ce Nosferatu, plus qu'un prédateur, est avant-tout la proie d'un destin qui ne lui a jamais laissé connaître ni l'amour ni la mort. Sa mort ressemble donc à un suicide dans les bras du plaisir. Conséquemment, ce vampire est surtout plus humain que son prédécesseur. Son cadavre recroquevillé en est l'ultime preuve là où le vampire de Murnau disparaissait en cendres. Dans un dernier clin d'oeil, le chasseur de vampires arrive trop tard, comme pour confirmer que le comte avait choisi son propre destin.
A la réalisation exceptionnelle, s'ajoutent les superbes interprétations tourmentées de Klaus Kinski totalement en contrôle de ses émotions et d'Isabelle Adjani, une beauté glacée qui se sait condamnée.
En s'abreuvant de l'essence d'un classique, Werner Herzog, a assuré dans un ultime acte de vampirisme, la survie d'un mythe.
Fred Thom
Nosferatu
Invincible
Ten minutes older : The Trumpet
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