critique de Vengeance / Looking for Eric
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Le choix de Johnny Halliday dans le rôle d'un vétéran de la pègre française à la recherche des meurtriers de ses petits-enfants sur fond de Macao plus faux que nature reposait sur la réinterprétation à l'écran du personnage joué en 1967 par Alain Delon dans Le Samouraï de Melville reprise initialement offerte à Delon mais qu'il avait déclinée pour raisons personnelles. Un Costello vieilli donc, mais toujours en puissance silencieuse sous son Borsalino, épuisé par les quarante années qui le séparent de lui-même mais tenace et dont le visage, grave, buriné, devait refléter sa détermination carnassière à la Vengeance. Le scénario du Looking for Eric de Ken Loach s'ancre quant à lui sur l'irruption fantasmatique et cathartique du footballeur Eric Cantona dans l'existence désabusée, dépassée d'un postier quinquagénaire en perte de repères : qui mieux que le sportif pouvait se plier à l'exercice de sa propre mise en abyme en incarnant cette version unidimensionnelle, virile et inspirée, de lui-même? Dans les deux cas, l'apparition initiale du personnage est capitale : parce que le spectateur, et le spectateur français de surcroît, l'attend et pas seulement au tournant et parce que cette première image va définir à elle seule toute la crédibilité de l'acteur improbable. C'est la voix de Cantona hors-champ qui invite le spectateur, comme le héros du film, à prendre conscience de sa présence : le postier (Steve Evets, sensible et attachant) sursaute, bafouille, ouvre des yeux ronds, le spectateur sourit devant la stature massive, imposante, attendue du sportif. Une question posée et le tour est joué : dans le rôle double de sa propre personnalité et de la conscience d'Eric Bishop, Cantona multiplie immédiatement les enjeux. Il lui faudra tout au long du film se montrer à la hauteur de la légende du football qu'il est et de la dimension psychologique du questionnement du postier qu'il incarne. En d'autres mots : savoir jongler habilement entre sa propre (ir)réalité et le fantasme d'un autre. Johnny Halliday apparaît à l'écran dans le hall d'un aéroport. Déterminé, paternel et menaçant, il enchaine, épaules voûtées, pardessus noir et Borsalino démodé, tapis roulants et couloirs de l'hôpital où sa fille (Sylvie Testud, toujours juste malgré l'extravagance du scénario) survit suite au massacre de son mari et de ses enfants par des tueurs à gages (dont on ne dira rien pour ne pas dévoiler la trame somme toute fragile du film). Costello sous son chapeau révèle un regard lupin, bleu acier, mordant, au sein d'un visage dévoré par les rides, les combats et la fatigue. Cadrage en gros plan, impression réussie sur la rétine : le père est, à sa façon, un tueur lui aussi. Mais. Cantona a joué plusieurs saisons pour Manchester United, avec les succès et les déboires que l'on sait et qui lui ont valu une suspension et une métaphore ornithologique d'anthologie. Il y a cultivé un sens inné de l'anglais sans pourtant se départir d'un profond accent du sud, demeurant résolument français tout le long de son parcours britannique. Halliday de son côté est une icône internationale, franchouillard expatrié ponctuellement à Los Angeles, une bête de scène et un comédien occasionnel plus ou moins heureux (comme l'est également Cantona, dont on se souviendra peut-être de la prestation malaisée, presque ridicule, dans le Elizabeth de Shekhar Kapur les deux hommes n'en sont donc plus à leur coup d'essai) : la langue américaine lui est connue, naturelle et parisienne dans ses sonorités assumées. S'exprimer dans une langue qui n'est pas la sienne est une gageure : au cinéma, l'exploit est multiplié par la focale braquée sur l'acteur on pense à Karine Viard se dépêtrant avec son anglais dans le très bon Bal des Actrices de Maïwenn le Besco et à l'énergie qu'elle déploie, en vain, pour sonner juste dans une scène inoubliable. Pourquoi dès lors le charme tombe-t-il dès les premiers mots prononcés par Halliday? Pourquoi au contraire se trouve-t-il amplifié par la diction caricaturale de Cantona? Le miracle tient à la compréhension que l'on suppose de l'acteur envers son personnage : d'un bout à l'autre de Looking for Eric Cantona s'amuse de lui-même et de sa caricature (le rôle est taillé sur mesure) quand Johnny Halliday s'émeut de sa partition vengeresse, en cherchant sans cesse la note juste : ses sourires ne touchent jamais et tirent davantage le personnage vers le répertoire publicitaire (on pense à Depardieu et Barilla pour la scène de cuisine par exemple) et ses émotions au contraire prêtent immanquablement à sourire (l'amnésie n'excuse pas tout). Si le film de Ken Loach grâce notamment au texte extraordinaire d'Eric Cantona servi avec une nonchalance étonnante sait rebondir sur les lacunes du footballeur, ses embarras (la position du corps dans l'espace) ou ses audaces (et ici aussi, on peut faire un lien vers le Cantona que l'on connaît de la publicité), la Vengeance de To s'émousse à chaque réplique de Johnny Halliday, elle se perd à chacune de ses postures : sans doute parce que chez le premier, le footballeur n'est que le prétexte à une histoire humaine autrement plus forte que la simple identification à un modèle, quand chez le second, le drame se construit à tort par et pour l'argument de vente surtout que représente malgré lui le chanteur français : la série B dont Johnnie To est le maître incontesté se fiche généralement de ses incarnations (ce que Testud comprend d'instinct, ne cherchant jamais à être le personnage, seulement à survivre à l'action) et s'articule habituellement autour de sa logique meurtrière, de la triangulation spatiale de ses protagonistes, jamais (ou rarement) de leurs états d'âme. On est finalement triste pour Halliday de la même façon que l'on est heureux pour Cantona : parce qu'au plaisir de les retrouver grandeur plus que nature sur un écran de cinéma se mêle la déception ou l'excitation de les découvrir faillibles, donc humains. |
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