Avec : Salma Hayek, Alfred Molina, Geoffrey Rush, Ashley Judd
Durée : 2:00
Pays : USA
Année : 2002
Web : Site Officiel
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Loin d'être un simple projet vaniteux de Salma Hayek, Frida est un film réussi qui célèbre visuellement la vie et l'art du peintre mexicain Frida Kahlo. La réalisatrice Julie Taymor s'est emparée de la biographie de ce personnage exceptionnel pour créer un « kaléidoscope » des meilleurs moments de sa vie.
Ces dix dernières années la popularité de Kahlo, en tant qu'artiste, n'a cessé de croître et ses peintures sont maintenant plus reconnaissables que les fresques murales de Diego Rivera. Son art va bien au-delà de la simple projection de sa souffrance dans son œuvre. Nombre d'artistes ont souffert (ou prétendent avoir souffert), ce qui ne rend pas pour autant leur travail sauvage et excitant. Kahlo était peintre et sa propre muse en même temps. Elle s'est peint et s'est interprétée sans rien épargner de ses tourments les plus personnels, la douleur de son corps étant au centre de son œuvre.
Le film suit la vie de Kahlo dans un ordre chronologique, de sa jeunesse sauvage à l'accident de bus qui changea sa vie et la laissa clouée au lit pour de longs mois, en passant par son mariage avec le peintre muraliste Diego Rivera et les joies et tristesses de leur union et de leur travail. Mais c'est la façon dont Julie Taymor aborde cette histoire qui donne vie à ce film. L'accident de bus est presque filmé comme un moment religieux dont Kahlo se réveille à la fois brisée et réincarnée. Elle est opérée par des squelettes du jour des morts et son voyage à New York, avec son mari, nous est montré à travers une série de cartes postales. Rivera est même transformé en King Kong, métaphore témoignant de son ascension et de sa chute à New York.
Taymor met aussi, avec subtilité, les peintures au centre du film. Tout comme dans Goya in Bordeaux, les peintures s'animent et se greffent autour de Frida. Sa famille, ses opérations, sa souffrance et sa vie avec Diego ressortent de son travail. Et pour une fois, le corps d'Hayek n'est pas exhibé gratuitement. Sa nudité montre sa volonté. Outre de nombreuses scènes d'amour (avec des femmes, avec Trotsky ou avec Rivera) qui démontrent sa passion pour la vie, plusieurs séquences s'appliquent à décrire ses traitements douloureux, sans pour autant exploiter cette douleur physique pour susciter la pitié. Dans la scène où on lui ôte enfin son plâtre, on peut voir de la poudre blanche recouvrant les seins d'une jeune femme prêtre à se remettre aux plaisirs de vie.
Bien sûr, les amours tumultueux de Kahlo et Rivera sont un thème majeur du film, nous faisant les témoins de la loyauté assez spéciale qui les unissait et de la souffrance résultant de leurs diverses infidélités. Taylor montre aussi que la vie d'artiste, en tant que femme, diffère de celle de l'homme. Le travail de Frida fut relégué au deuxième plan pendant de nombreuses années pour se consacrer à sa vie d'épouse et suivre son mari. Ceci ne veut pas dire pour autant qu'elle ne profita pas des joies de la vie, que ce soit dans les cantinas ou dans les bras de ses amants.
La distribution est dans l'ensemble solide. L'interprétation de Hayek est honnête, généreuse et émotionnelle, l'actrice faisant vibrer son personnage de passion en dépit d'une souffrance physique et mentale. Tout à son honneur, elle ne succombe à des poussées de colère à la Ed Harris dans Pollock. Alfred Molina réussit à capturer l'essence de Rivera, en particulier son pouvoir de séduction, ce qui est important puisque Kahlo vécut longtemps dans son nombre. L'acteur crève même l'écran dans plusieurs scènes. Valeria Golina incarne son ex-femme Lupe Marín, personnage récurrent tout au long du film. Sa prestation est subtile, préservant la dignité d'une épouse délaissée qui officia en tant que guide pour Frida. Geoffrey Rush, Antonio Banderas, Ed Norton et Ashley Judd font de brèves apparitions dans les rôles respectifs de Léon Trotsky, David Alfaro Siqueiros, Nelson Rockefeller et Tina Modotti. Ashley Judd s'avère le seul mauvais choix de cette distribution. Bien que sa danse féline avec Hayeck vaille certainement le déplacement, elle ne réussit jamais à entrer dans la peau de la célèbre photographe italienne et aurait été plus appropriée dans le rôle d'une amante de passage. On remarquera aussi la présence de Diego Luna, qui justement se masturbait en pensant à Hayeck dans Y Tu Mamá También.
On ne peut évidemment tout mettre dans un film biographique et son séjour à Paris est malheureusement sacrifié. On ne la voit qu'écrire des cartes postales et passer d'un amant à l'autre (dont Joséphine Baker) alors que, non seulement ses œuvres firent partie de l'exposition Mexico organisée par le surréaliste Marcel Duchamp mais elle fit aussi la rencontre de Breton, Picasso, Kadinsky, Ernst et Miró. Un film à part entière serait nécessaire pour décrire cette période.
Le soir de la première à Hollywood, quelques manifestants protestaient à l'entrée contre la présence de gringos comme Molina et Banderas dans des rôles de mexicains. Outre le fait que le film fut bel et bien tourné à Mexico avec une équipe mexicaine, il ne faut pas oublier que Kahlo, elle-même, n'était pas mexicaine à 100% puisque son père était européen. De plus, comme Hayeck l'indiqua, le pays était alors un asile d'artistes et d'intellectuels venus des quatre coins du monde. Le seul point sur lequel on puisse vraiment compatir est la présence d' Ashley Judd.
Frida de Julie Taymor ne sera pas oublié se sitôt.