critique de King Kong
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A déplier ces trois heures d'un récit remarquablement rythmé, on est frappé d'emblée par son caractère " méta ". Jackson, mastodonte du box office depuis sa Trilogie de l'Anneau, signe ici son autoportrait de l'artiste en jeune homme : un cinéphile obsédé par son art et dont la figure est redoublée à l'écran par son alter ego Jack Black. Fantasque, le personnage ne vit que pour le cinéma, passion qui l'amène à s'embarquer, à la barbe de producteurs récalcitrants, pour une île inhospitalière. Il entraîne dans son sillage Ann Darrow (l'émouvante Naomi Watts), actrice sans le sou qui rêve de brûler les planches, et pour laquelle un auteur dramatique en vogue, Jack Driscoll (Adrien Brody) et un gorille se consument d'amour. De la version de 1933, le réalisateur a conservé ce soupçon suranné de sentimentalité et de romanesque, ainsi que quelques motifs volontairement désuets (la charge des biplans au haut de l'Empire State Building). Mais, de par sa mise en scène (on parlerait plutôt ici de " mise en espace "), le film s'inscrit résolument dans le contemporain. Omnipotence du numérique, King Kong déploie sa syntaxe singulière qui voit l'affrontement entre les corps des acteurs et les créatures virtuelles. Il ne fait aucun doute que la préférence de Jackson va à son bestiaire numérique, qu'il filme avec un soin maniaque et une fascination de tous les instants, à l'instar du personnage incarné par le trublion Jack Black. Là où, habituellement, les créations numériques interviennent en support du jeu de l'acteur, ici le rapport s'inverse. C'est le corps de l'acteur qui sert de support, d'écran, de faire-valoir aux monstres numérisés. Mieux, les acteurs sont dans l'imitation. Ce qui donne lieu d'ailleurs à l'une des plus belles scènes du film, lorsque Ann Darrow, pour divertir le taciturne primate, se met à faire le singe. Véritable film d'obsessionnel, King Kong vaut avant tout pour ce paradoxal déséquilibre des forces, renforcé à l'écran par les différentes échelles de plan, lesquelles écrasent les acteurs. Jackson croit au simulacre. C'est la force même de son cinéma, pour lequel il mobilise tout son savoir-faire. Le personnage de Ann Darrow se situe en plein avec cette croyance. Elle doit accomplir un choix impossible entre un désir incarné et un amour de synthèse. Cependant, il faut reconnaître que la version de Peter Jackson est sérieusement désérotisée, au regard de l'œuvre originale. Assurément régressive, la sexualité s'exprime ici de manière distanciée. Cinéphile éternellement nostalgique, on regrette la force émotionnelle de la version initiale. Pour autant, la mise en scène efficace du réalisateur néo-zélandais, habilement réflexive, taraudée par un vrai désir de cinéma, achève de convaincre quant à ce qui excède l'exercice formel de dépoussiérage. Autrement dit un remake, hanté par la propre obsession de sa forme.
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