critique de Mission : Impossible 3
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Au-delà des rumeurs sur le prosélytisme scientologue, sur les négociations acharnées de cachets lucratifs, sur son pharaonique budget ou sur le choix de son réalisateur, ce qui caractérise M:I:III au vu de ses prédécesseurs réside dans sa faculté à se colleter avec le problème inhérent de la transposition entre télévision et grand écran, celui de l'envergure. En plaçant J.J. Abrams (Alias, Lost…) à la barre les producteurs ont, involontairement ou non, enclenché une dialectique savoureuse, ou comment machinerie et scénographie cathodiques futées (mariage éclair à la chapelle de l'hôpital, reconstitution italienne factice, découpage nerveux et ralentis complices, teaser en mode mineur, cliffhanger haletant ou générique réduit à sa plus simple expression) se voit projetées dans un espace surdimensionné, grandeur nature. Pour épouser l'intégralité de la béance offerte les effets étriqués de mise en scène se détendent à la manière d'un gaz, induisant une troublante et dilettante volatilité. Et la caméra de tanguer pour accroître l'irrépressible besoin de cinétique. Exit la pesanteur emphatique (mécanique et caoutchouteuse) d'un John Woo et les corps grimés ou fatigués de Brian De Palma, ici Tom Cruise a beau être expédié sur une carcasse de voiture par une déflagration il se reprend aussitôt et se remet à courir frénétiquement. L'anatomie propre à l'action est d'ailleurs élancée - Maggie Q ou Kerri Russel, ex égérie du cinéaste dans Felicity - et ce n'est pas un hasard si le débonnaire Ving Rhames se voit cantonné à la coordination, sa stature n'étant plus compatible avec le flux. Insiste de fait une volonté réaliste et minutieuse concaténant muscles entraînés, silhouettes graciles, temporalité exacte (le voyage en Chine est pris en compte dans le compte à rebours), prouesses crédibles (la Physique au secours d'Ethan pour concevoir son pendule) ou décors actifs (les éoliennes, adjuvants et symboles agrégés). Le rythme stridule, permettant au film de faire la part belle à ses héroïnes et de rapprocher le personnage principal de Jack dans Lost, leader torturé aux résurgences autistes. L'intrigue picaresque est certes convenue, pratiquement fac-similé du pilote d'Alias (agents doubles, flash-back démesuré, chairs cruellement torturées, appui scientifique loufoque, quartier général vrombissant à la SD6, le tout saupoudré et irrigué de sève familiale), mais il ne faut pas oublier que J.J. Abrams est d'avantage un homme d'idées et d'énergie qu'un véritable showrunner - que serait le succès de Lost sans Carlton Cuse (Brisco County, Jr.) à l'écriture ? - et c'est naturellement que nous filons sur une autoroute fléchée distillant ça et là une once d'adrénaline. La rédemption d'Ethan Hunt prend un tour surprenant lorsque nous saisissons que ce corps de cinéma ne peut habiter le monde cathodique importé - principalement soutenu par le champ-contrechamp. Le résultat est donc aux antipodes des velléités mégalomanes de Tom Cruise - qui plombaient déjà les afféteries de M:I-2 -, puisque nous ne remarquons que les seconds couteaux tant le transparent héros ne semble exister qu'en surimpression d'une structure parfaitement viable - le dessin sur la vitre prenant un tour astringent. L'occasion de noter la virtuosité de Phlip Seymour Hoffman (Capote, Happiness, Magnolia…) qui se glisse dans le tissu proposé sans l'ombre d'une difficulté en intériorisant sa puissance de jeu. Ses apparitions restent les points d'orgues des morceaux de bravoures du Vatican et de Shanghai. En définitive, le long métrage est taraudé par sa durée dont la magnifique route sur pilotis se veut synecdoque. Elle représente une sorte de métrique morfondue, une distance étirée à outrance entre premier et dernier épisode d'une série. M:I:III devient ainsi une interrogation en creux de ce qu'incarnait l'abscons Mulholland Drive : le passage fuyant de la quintessence, les vases communicants (origines-conclusions) d'une histoire polymorphique, empathique et délayée. Mais, avec comme seul arsenal technique les correspondances, les plaisanteries potaches ou le hors-champ J.J. Abrams peut insister aux forceps, la gangue roborative peine à céder. |
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