L'Etrange Festival consacre une rétrospective cette année au magnétique et sulfureux Udo Kier. De Fassbinder (La Troisième Génération), à Andy Warhol, en passant par Gus Van Sant (Even Cow Girls get the Blues, My Own Private Idaho) ou Lars Von Trier, sa filmographie, marquée par un goût prononcé pour la performance, est exceptionnelle.
Au sortir d'une heure décontractée d'entretien avec lui, on est frappé : un profond décalage existe entre l'homme, sorte d'aristocrate décadent, affable et volubile et les personnages extrêmes qu'il incarne à l'écran. La peur d'être engloutie par le mesmérique acteur cède vite la place à un vrai plaisir d'être là, en face de celui qui m'avait fait abandonner toute idée de maternité, après la scène choc de l'accouchement contre-nature de The Kingdom (une infirmière expulsait Kier adulte de son ventre !).
Sirotant avec précaution un café, l'acteur est revenu sur ses différentes collaborations, nées du hasard de rencontres (il se targue de n'avoir jamais eu à écrire de lettres pour obtenir un rôle) : Warhol rencontré dans un avion, Van Sant dans une soirée à Berlin ou encore Madonna avec laquelle il a travaillé de près (Erotica), sans, pour autant jamais vraiment la connaître. D'évoquer encore son enfance pauvre et sa vie confortable actuelle, sa passion pour Tapiès et les beaux meubles, le tournage qui vient de s'achever avec John Carpenter où il succombe de manière violente et spectaculaire (il est éviscéré !). Puis il se lève brutalement, interpelle les organisateurs du Festival car Van Sant serait à Paris pour un tournage (et il tient à l'inviter).
Il se rassoit avec soin, confie que Jean Marais fut, de toute évidence, le partenaire avec lequel il a eu le plus de plaisir à tourner (" un gentleman "), se relève, pris d'une envie soudaine d'un sandwich pâté/cornichons, déplore qu'il n'en a pas trouvé la veille dans toute la ville.
Je lui demande des nouvelles de Broken Cookies, le film Dogma qu'il a réalisé : un crash financier, interrompu pour l'heure. On parle de ses films commerciaux. Il me dit lire les scripts en diagonale pour savoir à quel moment et de quelle manière son personnage meurt. Puis il m'enjoint à aller voir les films de Sclingensief (une rétrospective lui est consacrée), notamment celui où il incarne Adolf Hitler (Hitler, la dernière Heure). "This is crazy", conclue-t-il. Une folle lueur danse dans ses yeux.
Hitler, Dracula, Frankenstein, autant de figures mythiques incarnées par Udo Kier, à lui tout seul, une mythologie. Je me ferai bien un sandwich au pâté, moi !
Propos recueillis lors de l'Etrange Festival, le 10 septembre 2005