critique de Scoop
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Son précédent Match Point ayant marqué les esprits nous trépignions d'impatience avant la sortie de ce nouvel opus signé Woody Allen. A l'arrivée, une farce syncrétique parfois douteuse mais ô combien allègre grâce à des répliques ciselées et à un casting de haut vol. La mutation copulative et carnassière de l'haruspice allenien initiée avec Anything Else poursuit sa saisissante évolution. Le nouveau patriarche sénile mais attachant équarrissant ses anciens films-palimspestes pour, à l'aune d'une jeunesse cynique, émoustillée et parfois nunuche (Christina Ricci, Chloë Sevigny et Scarlett Johansson en porte-étendards), souligner une irrémédiable dégénérescence du médium artistique, des sentiments forcément ambivalents et des corps de plus en plus ancrés dans l'inéluctabilité du trépas - tapi au prochain virage. Le rythme suave et fané de cette fantaisie morbide tient ainsi principalement à l'incursion parasite et endémique du réalisateur-scénariste au sein de son indolent système - déserté lors de ses deux derniers longs métrages. Voici d'abord une parole débordante - tantôt truculente, tantôt lancinante - induisant la fonction phatique de ce cinéma. Ensuite un corps inadapté : comment ne pas jubiler devant ce tandem improbable où les formes callipyges d'une ingénue écrasent le malingre cacochyme en voie de désintégration ? Une enveloppe physique trépanée, pratiquement au rebus qui hante le film comme une réminiscence honteuse, coagulée, sédimentée - le hiatus vivace de l'image de Splendini au volant d'une smart le propulse dans une étonnante modernité qui a immédiatement raison de lui. De toute évidence une faction résistante persiste dans ce tissu, s'ingéniant à distendre le schéma archétypal de la comédie policière. La magie ouatée de ce long métrage se complaisant parfois dans une théâtralité amidonnée (la mort emportant la brebis égarée sur scène) tient en effet dans le désamorçage de ses potentialités à jamais envolées (séduction langoureuse, cinétique échevelée, bouffonnerie picaresque…). Encore une fois le flux s'épanche à partir des corps jusqu'à emplir avec sophistication et dorlotements l'espace cinégénique. De l'estudiantine naïade à l'iconoclaste limon-magicien voici une enveloppe que silhouette ou minauderies intimident tandis que l'autre s'emploie à investir par gesticulations et bégaiements, à conserver une présence latente en dépit d'un magnétisme évanoui. Ce qui les relie : l'élément fluide qui agrège l'ensemble jusqu'au capiteux, tout corps plongé acquérant sa complétude (identité sexuelle de la jeune femme ébaubissant son amant). Les détracteurs de Woody Allen argueront un abandon aux penchants naphtalinés d'une œuvre désormais agonisante du fait de ses tendances somatiques. Pourtant il s'agit d'une piètre obole à acquitter pour surprendre une greffe ambiguë et lucide, l'enrubannement d'un physique improbable et voluptueux dans un classicisme suranné et létal. L'excommunication du cinéaste de sa religion narcissique - pour reprendre les propos de Splendini - est une flamboyante promesse d'avenir. Même en route pour la postérité le génie escamote avec virtuosité les multiples barrières - dont celle de la langue, de la voix - pour partager sa ludique félicité.
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