Avec : Nicolas Cage, Meryl Streep, Chris Cooper, Rheagan Wallace
Durée : 2:05
Pays : USA
Année : 2002
Web : Site Officiel
Basé sur : Roman
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Après avoir exploré le cerveau complexe d'un acteur, le scénariste Charlie Kaufman et le réalisateur Spike Jonze se mettent dans la peau de Charlie Kaufman avec le brillant Adaptation. Le film montre le dilemme auquel le scénariste fait face, pris entre le désir de faire de l'art et la tentation de vendre son âme au diable, en l'occurrence succomber aux sirènes aguicheuses des produits formatés hollywoodiens.
Nicolas Cage interprète Charlie Kaufman, un « loser » cultivé qui tente vainement d'adapter le livre de Susan Orlean (Meryl Streep), The Orchid Thief, et finit en ultime recours par s'introduire dans le script. Cage incarne aussi Donald, son frère jumeau fictif, un alter ego plus séduisant mais pas très malin qui suit le séminaire de Robert McKee (Brian Cox), un fameux « entraîneur » de scénaristes, et réussit à pondre avec une facilité déconcertante un mauvais thriller qui trouvera un succès immédiat. Curieusement, lors des allusions à son script, je ne pouvais m'empêcher de penser au Dragon Rouge de Brett Ratner !
Dans une amusante mise en abîme, Kaufman offre une réflexion à l'infini dans un jeu de miroirs où s'entremêlent et s'emboîtent comme des poupées russes les « making of » d'Adaptation et de Dans la peau de John Malkovich, l'écriture du livre The Orchid Thief et la réalité.
La présence de frères jumeaux fait non seulement allusion à la théorie de McKee à propos de Casablanca, dont le scénario supposé parfait a été écrit par des jumeaux, mais surtout montre la dichotomie des scénaristes d'Hollyood enfin ceux qui tentent d'écrire de bons scénarios mais sont leurrés par des imbécillités commerciales afin de survivre. Le titre du film fait ainsi allusion aux orchidées mais aussi aux scénaristes.
Bien qu'Adaptation soit en partie un film sur les coulisses d'Hollywood, c'est l'aspect créatif qui est ici abordé plutôt que d'offrir une énième satire des paillettes et autres requins de studios. Et le résultat s'avère bien plus probant que le Full Frontal de Soderbergh parce que l'approche de Kaufman est plus intelligente. Kaufman se moque de lui-même (son autoportrait est peu flatteur), des mauvais scénaristes, de McKee, des agents et des élitistes New Yorkais. Paradoxalement, le plus amusant et le plus primitif des personnages, John Laroche (Chris Cooper), est probablement le plus intelligent. L'autodérision est de rigueur et on se délecte de voir John Malkovich en prima donna ainsi que John Cusack et Catherine Keener snober le pauvre Kaufman durant le tournage de Dans la peau de John Malkovich.
Vers la fin, le film change toutefois brutalement de ton, se pourvoyant dans ce que le personnage de Kaufman dénonçait dès le début et ne voulait en aucun cas introduire dans son adaptation du livre : une liaison amoureuse, un meurtre et une poursuite de voiture. A ce moment-là Kaufman et Jonze passent à l'ennemi. Une partie des spectateurs, leurs fans, sera choquée ou esquissera un sourire en coin gêné tandis que les autres seront enfin subjugués à cet instant ma voisine s'écria « Oh mon Dieu » et son copain se réveilla après avoir ronflé pendant une heure et demi.
Kaufman sabotage volontairement son propre film, s'adressant directement aux spectateurs qui le suivent et se jouant des autres. Il faut alors se distancer de l'écran, prendre du recul et regarder les autres : Kaufman montre comment il est facile de leurrer les spectateurs avec quelques pitoyables trucs (et retournements) scénaristiques. Le procédé utilisé dans sa démonstration sur le « passage à l'ennemi » est dangereux puisqu'il y perd une partie de ses spectateurs et rend le film indigeste pour quelques minutes, à grand renfort de clichés embarrassants ; c'est aussi le moment où Donald a mis la main à la pâte, prenant le script en main.
Afin de renforcer la démonstration sur la trahison de l'art pour la commercialisation éhontée, le premier rôle a été confié à Cage, un acteur qui symbolise cette notion après sa transition du cinéma indépendant à des atrocités comme Family Man, 60 Secondes Chrono et Les Ailes de l'Enfer. Après sa réhabilitation dans le sous-estimé Windtalkers, Cage est saisissant, que ce soit en loser (Charlie) ou en idiot (Donald) ; un retour qui n'est pas sans rappeler celui de Travolta, aussi en « loser », dans Pulp Fiction. Si Meryl Streep approche les diverses couches de son rôle avec finesse, c'est surtout Chris Cooper que l'on remarque, hilarant en « redneck » (plouc) plus malin qu'il n'y parait. Le duo Kaufman/Jonze fonctionne parfaitement, Jonze traduisant la bizarrerie et l'intelligence du script de Kaufman à l'écran.
A la fin, Kaufman surmonte enfin ses démons et c'est une bonne nouvelle, car on a vraiment besoin de ses films.