Gerry
Réalisé par Gus Van Sant
Avec : Matt Damon, Casey Affleck
Durée : 1:34
Pays : USA
Année : 2002
Web : Site Officiel
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Basé sur un fait divers survenu il y a quelques années dans le désert californien, le film de Gus Van Sant, suit les errances de Gerry (un solide Matt Damon) et Gerry (Casey Affleck), deux citadins, probables angelinos qui, partis en excursion dans le désert, se perdent dans l'immensité de ce paysage aride et majestueux.
Dés les premières images, le cinéaste donne le ton : une longue séquence muette nous présente les deux personnages, figures passives assises dans une voiture, alors que la route, tantôt sinueuse tantôt longiligne défile à l'infini, quelques notes nues de piano emplissant cet apparent vide de leur écho. Les deux hommes posent ensuite le pied dans ce paysage lunaire baigné d'une lumière saturée, et d'un pas gaillard partent à l'aventure. Avec leur accoutrement très L.A. et une canette de coca comme tout équipement, ils nous rappellent d'emblée ces parisiens qui, fraîchement débarqués à Chamonix, partent à l'assaut du Mont Blanc en chaussures de tennis et se voient rapatriés le soir venu en hélicoptère. Quittant le sentier pour prendre un raccourci, ils se perdent inévitablement et finissent par errer dans le désert pendant trois jours, sans eau ni nourriture.
De ravins asséchés aux rocs escarpés en passant par de longes étendues de sable, Gerry et Gerry arpentent le désert, confrontant leur propre solitude tandis que la caméra de Van Sant embrasse ouvertement ce paysage écorché à la beauté si brute. Les plans sont posés, langoureux, rejetant tout artifice cinématographique pour la créer une peinture diaphane, une figure morte « vivante » que l'homme ne peut dompter. Un piano hypnotique et solennel accompagne le tout, noyant des dialogues épars. Van Sant, réalisateur ancré dans la culture américaine, nous offre probablement son film le plus universel avec Gerry, une œuvre naturaliste et épurée à l'extrême où l'homme n'est qu'un infime détail dans un décor qui l'engloutit. La lenteur et l'importance donnée à la nature renvoient à un cinéma simple mais existentialiste comme celui d'Andrei Tarkovski avec Solaris mais aussi à Bela Tarr (Les Harmonies Werckmeister) et Abbas Kiarostami (Ten) qu'il cite ouvertement comme sources d'inspiration. Après l'hommage clinique à Hitchcock, le cinéaste se défait de tout carcan technique et narratif pour saluer l'influence d'une autre école, celle des auteurs du vieux continent.
Comme certains de ses collègues, Paul Verhoven et Brian De Palma récemment (cf Femme Fatale), Van Sant s'attache à ce que la forme reflète le fond et vice et versa. A l'image du désert, son film est aride mais d'une beauté éthérée, emprunt de solitude et d'une langueur qui se perd dans son horizon infini. Son film vagabonde et ne va nulle part, tout comme ses « héros ». La destination des Gerry et leurs antécédents sont sans importance. C'est leur expérience qui compte et qu'il désire nous faire partager en optant pour un rythme lent, une narrative dénuée de toute contrainte scénaristique, des plans simples, répétitifs et parfois très créatifs comme celui des deux visages superposés lors d'une marche cadencée.
Décliné sous maintes formes, « Gerry » veut dire idiot. Le film n'épargne donc pas ces personnages fades et assez stupides. Aussi inorganisés que peu informés sur les mystères de la nature, ces « conquérants urbains » se heurtent rapidement à des forces physiques et psychologiques trop fortes pour eux. Gerry Affleck dans sa tenue noire décidément très rock'n roll pour une excursion, porte sur son t-shirt une étoile qui, symbole de direction céleste ou de position sur une carte, semble le narguer d'autant plus alors qu'il est perdu au beau milieu de nulle part. Bien qu'on ne sache rien de ces deux personnages, une tension homosexuelle semble percer, Gerry Damon se détachant avec le temps comme l'homme viril tandis que Gerry Affleck se féminise. Devenu un boulet, ce dernier poussera son comparse dans ses retranchements, dans un ultime acte survivaliste mêlé à de la honte mais aussi de la compassion. Les noms indissociables des personnages comme ceux des acteurs si souvent associés dans la vie (Matt Damon et Ben Affleck, frère de Casey), apportent une dimension supplémentaire, débordant sur la réalité dans un amusant pied de nez.
En sortant des sentiers battus pour s'égarer, Gus Van Sant a trouvé une source.
Fred Thom
Restless
Last Days
Elephant
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