Avec : Ryo Ishibashi, Eihi Shiina, Tetsu Sawak, Jun Kunimura Durée : 1:55 Pays : Japon Année : 1999

Chef-d'œuvre audacieux d'une précision implacable, Audition démarre comme une comédie de mœurs légère pour ensuite basculer lentement dans une réalité insoutenable.

Veuf depuis quelques années, Shigeharu Aoyama (Ryo Ishibashi) élève son fils avec dignité mais sans réelle joie dans une maison bien trop grande où le silence se fait l'écho d'une absence douloureuse. Envisageant de se remarier sans vraiment savoir comment si prendre, le timide quadragénaire fait part de son projet à son ami Yoshikawa (Jun Kunimura), un producteur de films qui lui propose de monter une fausse audition afin de lui trouver une épouse. En épluchant les candidatures, Shigeharu découvre la lettre très personnelle d'une actrice dont il partage immédiatement la peine. L'homme s'entiche de la jeune femme et décide de la relancer après l'audition. Shigeharu et Asami (Eihi Shiina) deviennent amants jusqu'au jour où celle-ci disparaît sans laisser de traces. Shigeharu se lance alors à sa recherche et s'enfonce lentement dans un cauchemar bien trop réel.

Basé sur un roman de Ryu Murakami, auteur de Tokyo Decadence, et sur un scénario de Daisuke Tengan, fils de Shohei Imamura (The Eel), Audition affirme la vision unique du réalisateur Takashi Miike, au-delà des films de yakuzas comme Dead or Alive qui ont fait sa réputation.

Audition est avant-tout une œuvre d'une extrême précision qui doit son succès au talent de chef d'orchestre du cinéaste qui dirige avec minutie cette symphonie de l'horreur. Démarrant dans une chambre d'hôpital au chevet de la femme de Shigeharu, le film a des airs de drame doux-amer avant de se transformer en comédie romantique lors de la scène de l'audition. Ayant acquis une affection sincère pour le personnage principal, le spectateur se croit alors embarqué dans une de ces comédies légères et naïves dans la veine de Shall We Dance. Le changement de ton au moment de l'audition, comme le titre du film établissent cette scène en tant que pivot de l'histoire, laissant présager des conséquences inattendues. Le film suit alors le jeu du chat et de la souris entre les deux tourtereaux tandis qu'apparaissent furtivement quelques scènes étranges annonciatrices de ce qui est à venir. La transition se fait donc en finesse jusqu'à la rencontre du père adoptif d'Asami dans une salle baignée d'une sombre lumière rouge, signe que Shigeharu - comme le spectateur - fait son entrée au purgatoire. Tout va ensuite en crescendo dans la terreur tandis que la descente en enfer est inéluctable.

Le climax est d'une horreur psychologique et d'un gore presque insoutenables. Mais ce qui fait l'efficacité de cette fin est la façon dont le scénario et le réalisateur manipulent les conventions cinématographiques. Au contraire du cinéma gore italien (on pense à Dario Argento et Lucio Fulci) où chaque film se regarde avec dérision comme un spectacle de grand guignol dénué de toute crédibilité, Audition démarre comme un film conventionnel et chloroforme le spectateur dans une bluette inoffensive et charmante. Pris dans l'engrenage de la narrative romantique et le contexte réaliste de l'histoire, ce dernier est alors brutalement réveillé par la piqûre inattendue et douloureuse de l'horreur.

Miike en profite aussi pour brouiller les cartes, insérant des séquences oniriques hallucinées et surréalistes où les perceptions de Shigeharu se mêlent à l'exposition du passé cruel et sadique d'Asami. Le réalisateur s'amuse aussi avec le cliché du rêve comme retournement de situation, attisant le public avec l'espoir d'une conclusion plus heureuse ; une fausse sortie de secours qui ne fait qu'amplifier l'impact de la réalité de la situation. Cette fin alternative traduit d'ailleurs les remords de Shigeharu et ses craintes d'une relation basée sur le mensonge.

Comme beaucoup de films japonais ou coréens, Audition s'attaque à des problèmes de société. Le catalyseur de l'intrigue est évidemment la montée de la solitude avec la recrudescence des familles monoparentales dans le fond. L'audition fait évidemment référence à la façon dont certains producteurs tirent avantage de jeunes actrices. L'humiliation de la femme - jeune ou adulte - est au centre du pamphlet, un thème récurrent que l'on retrouve dans La 6ème victime. Les deux films sont en fait assez proches, offrant des personnages féminins forts et déterminés à se venger d'une société machiste.

La cinématographie est esthétique et épurée à la fois, reflétant la tonalité de chaque scène. Les couleurs sont saturées dans les séquences surréalistes mais au contraire une lumière écarlate reflète le bonheur de Shigeharu pendant l'audition. La scène de torture est cependant filmée d'une manière quasi-chirurgicale afin de transmettre au spectateur un effroi bien réel et lui faire partager la souffrance du personnage. La distribution est toute aussi bien choisie, de Ryo Ishibashi, une rock star devenue acteur à la saisissante Eihi Shiina qui passe avec une aisance impressionnante d'ingénue à prédatrice.

Si le film peut être qualifié de choquant par certains bien-pensants hypocrites et cinéphiles du dimanche, il n'est cependant pas gratuit dans sa provocation, puisque l'excès de la punition finale n'est que le contrepoids de la souffrance physique et morale de milliers de femmes. Audition est le reflet de la montée d'un cinéma audacieux qui bouscule les genres et les conventions ; et c'est tant mieux.

  Fred Thom

     Gozu
     Visitor Q
     Dead Or Alive