Edito du 57e Festival de Cannes 2004
Par Sandrine Marques et Moland Fengkov
« Quentin a une grande gueule, mais aussi de grandes oreilles. » En d'autres termes, Quentin Tarantino aura, d'après les témoignages de ses comparses, su donner la parole à chacun et écouter ses arguments. Tilda Swinton parle en ces termes du volubile président du jury du 57e festival de Cannes, fermant ses portes sur une Palme d'Or qui risque de faire débat longtemps. Et c'est déjà une qualité à reconnaître au film de Michael Moore de susciter autant de discours passionnés, qu'on se range du côté des détracteurs ou de celui des partisans de son pamphlet. A la fin de la cérémonie de clôture, Q.T. a cru bon de préciser au vainqueur de l'édition 2004 du festival, en aparté, que son film repartait de la Croisette avec la récompense suprême avant tout pour ses qualités cinématographiques, et surtout pas pour son discours politique.
Le lendemain, une conférence de presse, inédite dans toute l'histoire du festival, réunissait le jury au grand complet. On peut s'interroger sur l'utilité et la pertinence de cette initiative, idée émanant des organisateurs et non du jury lui-même. Comme si ses neuf membres devaient se justifier de leurs choix. Pour autant, cette conférence, à la fois passionnante et houleuse, aura eu le mérite de montrer en filigrane quels films, sérieux outsiders, auraient pu peser sur la balance. Parmi ceux-ci, Old boy, de Park Chan-wook, Palme d'or potentielle qui aurait elle aussi divisé la Croisette. Si le film de Moore fut au centre des questions posées par les journalistes, déclenchant quelques réactions parfois violentes du président, sur la défensive, d'autres, dont la place au palmarès en surprend plus d'un, ont offert l'occasion de deviner comment les membres du jury ont mené leurs propres réunions de travail. Tropical Malady, de Apichatpong Weerasethakul, que peu de festivaliers ont réussi à voir jusqu'au bout, et qu'encore moins ont défendu (Plume-noire compte parmi ces derniers), reflète assez bien l'esprit démocratique qui semble avoir régné au sein d'un jury visiblement solidaire et uni pour s'exprimer d'une seule voix. Du moins est-ce l'image qu'il a voulu montrer à la presse. En sortant de cette conférence, on comprend aisément pourquoi Irma P. Hall reçoit un prix du jury, aux côtés non pas d'un autre comédien, mais d'un film. Un prix qu'elle aurait pu partager avec « Magic » Cheung. Sauf que l'une joue dans un film magnifique (Clean, d'Olivier Assayays, sans doute son film le plus maîtrisé et le plus juste) et que l'autre sauve par sa seule prestation une comédie insipide (The Ladykillers, des frères Coen). Pertinence. Intéressant de savoir également que Zhang Ziyi aurait elle aussi pu remporter le prix d'interprétation : sensuelle, fragile et troublante, elle irradie 2046 de Wong Kar-Wai, jusqu'à éclipser Maggie Cheung au montage, du moins dans la version présentée à Cannes. Quoi qu'il en soit, le palmarès, qui commence déjà à faire grincer des dents, reflète la sensibilité de tout un jury, dont les membres, à en croire les propos tenus, auront su se convaincre les uns les autres. Les goûts d'une dizaine de festivaliers ne peuvent représenter ceux de l'ensemble, et le Festival de Cannes ne s'est jamais tourné vers le public.
Toujours au cours de cette conférence, on aura vu un Q.T. moucher un journaliste de Nice-Matin lui demandant, sans agressivité aucune, où le président du jury pouvait bien voir du cinéma dans le film de Moore. Malentendu ? Erreur de traduction imputable à l'interprète ? Toujours est-il que le réalisateur de Kill Bill s'est braqué, refusant au journaliste la chance de préciser sa question, après lui avoir fourni une réponse tronquée et expéditive. Deux autres journalistes subiront le même sort, notamment une italienne, attristée de constater qu'un documentaire comme Mondovino (Jonathan Nossiter) qui offre plusieurs points de vues, contrairement au film de Moore (sic), passe complètement inaperçu au résultat final. Benoît Poelvoorde de prendre la défense de son président, en arguant qu'un auteur impose toujours sa propre vision des choses, son point de vue. On l'aura compris, passées les anecdotes croustillantes sur les relations qui se sont nouées entre les membres du jury, la conférence risquait de tourner au procès. C'est simple, tous les prix ont eu droit à une justification : l'unanimité pour le prix du scénario (Comme une image, Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri), récompense du travail d'une année, tout en progression, pour un enfant acteur non professionnel (Yagira Yuuya pour Nobody knows de Kore-Eda Hirokazu), etc. Quant à l'agressivité passagère de Q.T. (par ailleurs affable, souriant, et disponible, durant toutes ses précédentes apparitions, jamais avare d'histoires à raconter ou d'autographes à signer), qui déçoit déjà ses fans et réjouit ses ennemis, on pourra émettre toutes les hypothèses possibles et imaginables, mais n'omettons pas un facteur simple et pourtant essentiel : la fatigue. D'ailleurs, l'inscription sur le T-shirt de Poelvoorde résume bien l'état d'esprit de cette fin de festival. « Quentin said : No more ! »
Palmarès du Festival de Cannes 2004
Festival de Cannes 2004
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