Palmarès du Festival de Cannes 2003
Par Moland Fengkov & Sandrine Marques
En phase. On peut admettre que, contrairement à David Lynch l'an dernier, Patrice Chéreau aura créé la surprise du 56e Festival de Cannes en couronnant Elephant de Gus Van Sant, film adulé par beaucoup, décrié par certains. Au détriment du grand favori : Dogville, de Lars Von Trier. Pourtant, on sait cet homme de théâtre et de cinéma sensible aux audaces et aux innovations. Que Greenaway et ses expérimentations visuelles prétentieuses repartent bredouilles, passe encore. C'eut été insulter le sérieux de Chéreau que de craindre de voir The Tulse Luper suitcases figurer au rang des vainqueurs. Mais pourquoi pas même le prix de la mise en scène, principale force d'un Dogville qui ose expérimenter et exploiter avec intelligence ses propres audaces ? De même, Nicole Kidman se voit souffler le prix d'interprétation par Marie-Josée Croze, qui pourtant ne brille pas plus qu'une autre comédienne des Invasions barbares, dont toute la distribution méritait un prix. Sacrer la troupe de Von Trier eut-il été trop convenu, trop consensuel, trop prévisible ?
Lors de la cérémonie de clôture, avant de dévoiler son palmarès, Chéreau a cru bon de préciser que son équipe s'est montrée soudée, comme pour se défendre des éventuelles accusations et pour éviter d'avoir à se justifier, à l'instar d'un Cronenberg et son palmarès plus que controversé, en 1999. Les rumeurs depuis vont bon train. En regardant la liste des lauréats, on peut émettre des hypothèses concernant les éventuelles concessions et les choix personnels du président du jury. Allez, un prix pour Samira Makhmalbaf afin de contenter tous ceux qui se laissent séduire par ce cinéma de bonimenteur, là où un Sang et or de Jafar Panahi, présenté dans la section « Un certain regard », montre plus de sincérité dans sa vision du monde contemporain. D'aucuns auraient volontiers vu ce film se mesurer aux plus grands, en compétition officielle. Plus grands qui n'ont de grand que leur nom et leur filmographie passée. On pense à Blier, à Miller, à Téchiné, les grands perdants qui relancent les questions existentielles du cinéma français, trop reclus sur ses acquis, qui lorsqu'il prend des risques, accouche de productions m'as-tu vu ou de crétineries pour les foules. Nombre d'entre eux ont livré sans doute leur plus mauvais film, et laissent penser que leur sélection ne repose que sur la foi de leur réputation. Contrairement à Sokurov (Père et fils), qu'on aurait voulu enfin voir récompensé à sa juste valeur. Espérons qu'il ne recevra pas un jour une Palme d'or symbolique pour l'ensemble de sa carrière, comme Roman Polanski et son Pianiste, ou encore Teo Angelopulos. D'ailleurs, les deux réalisateurs auxquels Van Sant a rendu hommage lors de la conférence de presse des lauréats, sont Sokurov et Von Trier. Avec Uzak (Lointain) de Nuri Bilge Ceylan, autre grand vainqueur de cette 56e édition, les œuvres de ces réalisateurs comptent parmi les coups de cœur de la Plume Noire. En phase.
Dogville écarté, Elephant méritait logiquement le prix de la mise en scène, tout comme les Invasions barbares, chouchou du public promis à un succès populaire en salles, méritent le prix du scénario, qui récompense ici la truculence des dialogues. On regrettera sans doute que, non content de rafler la palme, qui sous-entend que le film est parfait, Elephant s'octroie un second prix. Hormis tous ces détails, la rédaction de la Plume Noire approuve un palmarès lui-même audacieux, qui a su surprendre sans provoquer, et affirmer les convictions du jury, Chéreau en tête.
Palmarès du Festival de Cannes 2003
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