Avec : Keanu Reeves, Carrie-Anne Moss, Lawrence Fishburne, Monica Bellucci Durée : 2:00 Pays : USA Année : 2002 Web : Site Officiel

L'exercice de la sequel, artistiquement périlleux mais commercialement juteux, consiste le plus souvent en une surenchère spectaculaire et budgétaire déclinant invariablement la formule originale. Le succès de Matrix résidait dans sa capacité à assimiler — ouvertement — ses influences cinématographiques et culturelles (Blade Runner, Dark City, Terminator, William Gibson, MTV) pour ensuite créer un univers unique obéissant à ses propres codes mais surtout révolutionnaire dans son mariage inédit du visuel et du cérébral.

The Matrix Reloaded ne désobéit pas à la règle, les frères Wachowski adhérant au principe de la surenchère inhérent à tout deuxième volet. Les bases — scénaristiques et visuelles — de l'univers Matrixien ayant été établies dans le premier opus, on débarque donc en territoire conquis, l'effet de surprise s'étant envolé. La narrative est ici linéaire, ayant perdu toute son originalité pour embrasser pleinement ce monde construit précédemment avec tant de complexité. L'intrigue alambiquée et empreinte de diverses philosophies, a été remplacée par une notion de choix anecdotique. Simpliste, calqué mais plus spectaculaire et moins naïf, The Matrix Reloaded officie donc comme une sequel par excellence, selon les critères établis par Hollywood, abandonnant son statut culte pour celui du blockbuster — tout au moins au premier degré.

Car une fois passé l'apparente surface glacée du film, on constate que les frères Wachowski ont réalisé un film à deux niveaux, à l'image du monde dans lequel les protagonistes évoluent. Sous son premier abord de blockbuster destiné aux masses, The Matrix Reloaded est aussi un film de cinéphiles pour cinéphiles où les cinéastes assument pleinement l'origine de leur création et son statut maintenant mythique. Le film multiplie les références, sorte de conscience cinématographique avouant la capacité de recyclage du cinéma. La science fiction, les films d'arts martiaux et médiévaux tout comme le western spaghetti sont ici célébrés, le plus souvent à travers des clins d'œil, de Metropolis et Nosferatu à Star Wars, Aliens, Highlander, Galactica et Superman en passant par Robin des Bois, John Woo et la rave music. Les cinéastes en ont aussi profité pour intégrer un nouveau genre, l'érotisme, avec une accentuation de la dimension sadomasochiste de l'ensemble, tandis que l'importance de la musique — art complémentaire du cinéma — est montrée à travers la transition de la bande son à sa représentation à l'écran (avec la scène de rave).

Si les réalisateurs avouent ainsi leur inspiration, ils sont tout autant conscients de l'importance de leur œuvre. Et c'est là qu'interviennent les scènes d'action, en particulier cette scène centrale où Néo combat dans la cour d'un immeuble un agent Smith multiplié à l'infini. Après avoir redéfini les standards du film d'action au niveau visuel, le style des frères Wachowski a été recopié jusqu'à la banalisation, sombrant dans le cliché entre les mains de cinéastes sans inspiration, de Charlie's Angels à Tomb Raider en passant par le récent Equilibrium, sans oublier un bataillon de séries télé et autres straight-to-videos. Ainsi à travers Néo balayant cette armée d'agents Smith, les frères Wachowski balayent tous ces clones cinématographiques, en poussant une fois de plus le niveau visuel de leur cinéma, et par la même celui du 7e art.

Les combats en tout genre, acrobaties et poursuites abondent, redéfinissant une fois de plus le cinéma d'action et rendant subitement obsolète près de 30 ans de films d'action. Et c'est ce qui fait la différence avec le gigantisme trop académique d'un Seigneur des Anneaux, la technologie étant ici mise au service de l'imagination, au profit d'une œuvre dont les aspirations sont bien plus grandes. La barre vient d'être haussée, et les films de genre qui suivent n'en ressortiront pas indemnes. Peut-on après ce nouvel épisode de Matrix regarder un nouveau Star Wars ou Terminator avec autant de fascination ? C'est peu probable et les productions sans envergure comme Charlie's Angels et Tomb Raider n'ont quasiment plus de raison d'être.

Si le script est épuré à l'extrême, c'est donc pour mieux incarner le cinéma d'action, se l'approprier et lui redonner forme. Comme le titre l'indique, les frères Wachowski ont seulement rechargé la machine ; mais par la même ils viennent de créer un rare film d'action doté d'une conscience auto réflexive, donnant un électrochoc salvateur à deux genres moribonds, l'action et le fantastique, et offrant de nouvelles possibilités visuelles au 7e art.

  Fred Thom

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