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Mon bonheur - critique du film
:. Réalisateur: Sergei Loznitsa
:. Acteurs: Viktor Nemets, Olga Shuvalova
:. Scénario: Sergei Loznitsa
:. Titre Original : Schastye Moe
:. Durée: 2:07
:. Année: 2010
:. Country: Ukraine
:. Pays: Mon bonheur
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Mon bonheur est un road-OVNI. Premier film de fiction de l'Ukrainien Sergueï Loznitsa, auparavant connu pour son travail documentaire, cet objet inclassable ne se trouve jamais où on l'attend. Servi par une écriture teintée de poésie à la fois morbide et comique, le récit ne cesse de bifurquer, de prendre des chemins de traverse, menaçant d'abandonner le spectateur sur le bas côté, mais nourrissant en lui toujours l'envie de courir à sa poursuite.
Dès les premiers plans de l'énigmatique scène d'ouverture, Loznitsa capte l'attention pour ne plus la lâcher. Emportant le spectateur dans la spirale infernale de son récit, spirale représentée par le béton liquide dans lequel deux hommes de main vont jeter et ensevelir une victime. Le reste du film suit le parcours d'un routier qui, de rencontres en rencontres, traverse un pays en déshérence. Abus de pouvoir de la police, prostitution juvénile et rebelle, délinquance rurale, meurtres. La parabole sur l'instabilité du pays s'exprime au travers des bifurcations imprévues et toutes aussi inattendues les unes que les autres que sa route prend. On se perd à sa suite, on sombre dans l'inconnu existentiel. A sa rencontre, autant de fantômes du passé et du présent qui le contaminent peu à peu pour en faire l'un des leurs, figure muette (au sens littéral du terme) et errante, perdue au milieu d'un village sans nom, l'un des cercles de l'Enfer, tournant en rond pour atterrir au point de départ et disparaître à nouveau dans le néant de la nuit.
Entrecoupé de scènes se déroulant durant la Seconde Guerre Mondiale, le film interroge l'héritage de l'Histoire sur ces petites gens, ces petites mains oubliées des grandes victoires, à qui la gloire, pour laquelle ils ont combattu, fut ravie par la bureaucratie et les grands dirigeants, dont la corruption et la cruauté se relaient aujourd'hui par l'uniforme et les excès de son usage. Hermétique à bien des égards à toute velléité de compréhension, Mon bonheur tire sa force de cette résistance, de ce refus de se livrer facilement. Le film vous possède, vous hante, vous happe. Sans céder à la tentation de prendre le spectateur par la main, il ne le méprise pas pour autant, en lui proposant une mise en scène époustouflante, servie par des plans-séquences magistralement pilotés (comme cette scène dans un marché où l'objectif passe d'un visage à un autre, avant que cette déambulation ne se trouve brutalement interrompue par un homme bousculant le routier avant de s'enfoncer dans la forêt) et une certaine dose de poésie morbide et un tantinet comique. Toujours tendu par l'imprévu, le spectateur ne peut que s'échiner à suivre le parcours en boucle du routier sans jamais lâcher prise. Le film trace une route sans laisser d'autre trace que celle des fantômes qu'elle croise, avant de déboucher sur son point de départ. Au bout du chemin : du très grand cinéma. Sans compromis, un choc.
Moland Fengkov
Festival de Cannes 2010
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