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Nos vies heureuses - critique du film
:. Réalisateur: Jacques Maillot
:. Acteurs: Marie Payen, Cécile Richard
:. Scénario: Jacques Maillot Eric Veniard
:. Durée: 2:27
:. Année: 1998
:. Country: France
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A entendre le titre et voir l'affiche, le premier long métrage de Jacques Maillot ne donne pas envie ; trois jeunes femmes en train d'offrir leurs dents en spectacle pour une photo genre Comme t'y es belle avec une police d'écriture sans grande imagination pour maquiller son titre : Nos vies heureuses. Pleurera celui ou celle qui tombera dans le piège de l'ironie, car les personnages de Jacques Maillot sont loin de nager dans l'océan de l'épanouissement, loin de là.
Le film suit les destins croisés de plusieurs personnages : d'abord Julie qui sort de l'hôpital après une tentative de suicide. Elle rencontre Ali, jeune marocain, qui travail au noir dans une brasserie et qui risque l'expulsion. Lucas - qui travail dans la même brasserie qu'Ali - ne sait plus très bien où il en est dans son orientation sexuelle. Puis il y a Emilie qui vit une rupture amoureuse et Cécile qui n'a aucun travail et tue donc l'ennui en prenant des photos ; toutes deux vivent dans le même appartement que Julie. Sans oublier Jean-Paul (ami d'Ali), catholique militant qui se pose encore plein de questions sur sa foi.
Tous ces personnages se croisent, se rencontrent, se disputent, s'entre-aident pour… Pour quoi ? Dans le genre, on pourra songer à l'excellent Magnolia de Paul-Thomas Anderson (réalisé environ un an après Nos vies heureuses) et sa bande annonce qui, après nous avoir présenté chaque protagoniste, nous promettait une chose : " tout ceci aura un sens, à la fin ". Et c'est bien avec inquiétude qu'on se demande si sens il y aura dans le film de Maillot.
Inquiétude parce que si on se réfère à la vie de metteur en scène que menait Jacques Maillot jusque ici, il y avait de quoi attendre pas mal : je parle surtout de deux de ses quatre précédents courts métrages que sont les fabuleux 75 cl de prière et Corps inflammables. Deux petits films abordant la fin d'une amitié, la fin d'un amour, la fin de l'envie de vivre, mais aussi le début difficile d'un autre amour et de l'acceptation de soi, quelques thèmes qu'on retrouvera dans son premier long métrage, mais qui sont dans ces films, abordés avec une attention et une sensibilité salutaire envers leurs personnages trompeurs. D'apparence paisibles et sans histoire, ils ne sont pas moins des êtres torturés et dépassés jamais loin de l'explosion. Même si on peut leur reprocher d'adopter une mise en scène un peu barbare (un seul plan, une seule prise et c'est dans la boîte), l'intérêt des films de Maillot se trouve essentiellement dans l'écriture de ses personnages qui sert à exprimer des états et des questionnements des plus personnels dont l'aboutissement se caresse à la philosophie.
Malheureusement, en regardant Nos vies heureuses on pourrait presque se dire que cette écriture et ce choix de mise en scène conviennent bien mieux à des courts métrages. Maillot aime " tout dire " dans ses films et ne pas prendre compte de la durée, et c'est bien dans ce film que - pour le dire vulgairement - ça lui retombe sur la gueule. Surchargé et un peu perdu, le premier long métrage de Jacques Maillot ressemble au film fait par défaut. Comme si l'idée de départ était convenue pour un roman, mais que le blocage a fait surface à partir de la trentième ou centième page (d'ailleurs, Maillot avoue lui-même s'être essayé à la littérature, mais en vain). Les scènes, des tranches de vies absolument banales se succèdent ; pendant une demi-heure c'est intriguant, mais au bout d'une heure et demi une question inévitable se pose : vers où veut-on m'emmener ? Question à laquelle une quelconque réponse du réalisateur serait vaine tant son film transpire l'incertitude et adopte une mise en scène brouillon qui laisse voir des raccords souvent ridicules et très maladroits.
Mais même si le film peine à trouver son but, on ne pourra lui reprocher d'être artificiel envers ses personnages. Et c'est peut-être ce qu'il y a de plus courageux chez Maillot : les personnages qu'il nous montre et la manière dont il nous les fait suivre sont l'anti-glamour du Cinéma. Il ne faut pas s'attendre à des êtres uniques dotés d'une particularité qui sera illustré à l'écran par une musique à la Yann Tiersen, mais à des gens qu'on croise tous les jours, qui écoutent tout aussi bien du Hélène Segarra que du David Bowie et qui présentent chacun leur intelligence autant que leur connerie. On dirait que Maillot cherche à rendre justice à ces gens là, pas en les montrant d'une façon ou dans des situations idéalistes, mais en les montrant tels qu'ils sont ou peuvent être. Et pour ça, Maillot est très doué et il prouvera encore plus tard dans son pertinent téléfilm Froid comme l'été, réalisé pour la chaîne Arte en 2002, qui suit le parcours parallèle d'une jeune mère qui abandonne son enfant dans son appartement et d'une femme flic (qui sera chargé de l'affaire du bébé mort) qui n'arrive pas à tomber enceinte.
Nos vies heureuses est peut-être un film dont la " moelle " est le principal manque, mais confirme tout de même les qualités de Jacques Maillot en termes de descripteurs de personnages, qualités qui, espérons le, lui permettront de livrer prochainement un ultime film de Cinéma.
Rock Brenner
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