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Un Prophète - critique du film
:. Réalisateur: Jacques Audiard
:. Acteurs: Tahar Rahim, Niels Arestrup
:. Scénario: Jacques Audiard, Thomas Bidegain
:. Durée: 2:29
:. Année: 2009
:. Country: France
:. Pays: Un Prophète
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On aurait pu croire à un énième film sur la prison, on s'attend à un huis-clos carcéral de 2h30. Mais Un Prophète se place bien au-delà. Servi par un scénario d'une richesse infinie, le film de Jacques Audiard s'aère en cours de route et entraîne le spectateur sur des chemins toujours plus surprenants, n'aboutissant jamais là où on l'attend.
Débutant sur un billet de 50 francs et se clôturant sur des milliers d'euros, Un Prophète raconte une chrysalide, l'enfance d'un chef, le parcours initiatique d'un jeune voyou ordinaire, son apprentissage du crime : les six années que passe Malik sous les barreaux, campé par une révélation, Tahar Rahim.
Il pénètre dans cet univers sauvage possédant ses propres lois quasiment SDF, ne sachant ni lire ni écrire, pour en sortir caïd en devenir. Entre-temps, Malik n'aura eu de choix que celui de sa propre survie. De chaque épreuve, il tirera une leçon qui l'approchera toujours davantage du pouvoir, à force d'attendre le bon moment pour user d'une arme bien plus dangereuse que les flingues : l'intelligence. Celle qui vous fait savoir quand prendre les coups sans broncher et quand les donner. Première leçon : la victime arabe qu'un groupe de nationalistes corses régnant en maîtres dans la prison (avec sa tête l'emblématique et bien nommé César) l'oblige à éliminer, lui conseille de commencer par s'alphabétiser. Un conseil qui lui permettra de lier de nouveaux contacts, comme Ryad, qui deviendra son ami et lieutenant, puis le Gitan, avec qui il construira son propre trafic. A chaque épreuve, il s'enrichit et gagne en expérience. Les yeux, les oreilles : tel est le titre d'un des chapitres qui composent le film. Cette formule résume à elle seule le portrait de ce prophète qui saura trouver les mots pour tirer profit des différents camps en conflit : Arabes, Corses, bandes rivales.
Emaillé de scènes ultra-violentes où le sang gicle et où les coups de pistolet assourdissent, le film ne perd jamais son rythme limpide et inéluctable, faisant passer son personnage de la passivité à l'action. Ecouter ses maîtres pour apprendre leur langue, avant de mieux les trahir et de renverser le chef César, campé par un Niels Arestrup toujours inquiétant dans sa froideur d'où peut émerger une terrifiante violence. " Faire le grand écart, c'est pas bon pour les couilles ", dit-il à Malik. Or, le film dément cette assertion. Le larbin parvient à faire le grand écart, séduisant des camps antagonistes pour servir ses propres intérêts.
Parfaitement équilibré, même dans ses incursions dans le fantastique (le fantôme de sa première victime le visite et le protège, telle une conscience qui préserve la part d'humanité que Mail perd au fur et à mesure qu'il poursuit son parcours vers le mal), Un Prophète ne sombre jamais dans la caricature ni dans le manichéisme primaire. Si les personnages qu'il met en scène se présentent comme la lie de la société, ils n'en gardent pas moins cette fragilité qui peut les faire chuter, littéralement. Telle cette lame que Malik s'entraîne à dissimuler dans sa bouche et à faire jaillir pour se jeter à la gorge de sa proie, le film se maintient en équilibre maîtrisé sur le fil du rasoir. Loin de se définir comme un documentaire sur l'univers carcéral, le film se présente plutôt comme la métaphore d'une jungle dont les frontières se dressent au-delà des barreaux. Un Prophète prouve qu'on peut encore espérer du cinéma français autre chose que des comédies niaises grand public ou des films pour happy few nostalgiques de la Nouvelle vague. C'est largement plus qu'une grande nouvelle qu'il convient de louer.
Moland Fengkov
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