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Etreintes Brisées - critique du film
:. Réalisateur: Pedro Almodóvar
:. Acteurs: Penélope Cruz, Blanca Portillo
:. Scénario: Pedro Almodóvar
:. Titre Original : Los Abrazos Rotos
:. Durée: 2:09
:. Année: 2009
:. Country: Espagne
:. Pays: Etreintes Brisées
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Le cinéma comme profession de foi. C'est ainsi qu'on pourrait parler d'Etreintes brisées. Pedro Almodovar, en cinéphile averti ayant bien assimilé ses influences, d'Hitchcock à Eisenstein, en passant par Rossellini et lui-même, livre là un film noir d'une richesse protéiforme, contenant tous les ingrédients de son style qui en font un objet non dénué d'humour (dans une anthologique scène de brainstorming, deux scénaristes se racontent le pitch d'un futur film de vampires, hilarant et bourré d'idées, telle cette muselière que porterait la maîtresse pour ne pas vampiriser son humain d'amant), se plaçant bien au-delà de la simple catégorisation. En clair, il n'innove pas, ne réserve aucune véritable surprise, se contentant de poursuivre le champ de l'expérimentation amorcée dans ses précédentes œuvres, comme La mauvaise éducation. Almodovar faisant du Almodovar.
Mais son film se déploie avec une telle cohérence et une telle maîtrise qu'on ne peut que s'incliner et saluer l'ensemble, solidement construit. Une écriture limpide et complexe présente les principaux protagonistes, avant de s'attarder sur l'histoire de l'un, puis l'autre, et ainsi d'éclairer l'intrigue principale en offrant au spectateur une vue d'ensemble au fur et à mesure plus large et finalement globale. Au final, il prononce son crédo : " il faut toujours finir un film, même si c'est à l'aveuglette. " C'est ce que va s'employer à faire Harry Caine, alias Mateo Blanco, un réalisateur scénariste aveugle à la suite d'un accident de voiture dans lequel il a perdu, 14 ans auparavant, l'amour de sa vie. Cette femme, jouée par une Penelope Cruz sensible et au sommet de son talent, se place au cœur des destins qui se nouent dans le film. Maîtresse d'un riche financier, elle tombe amoureuse du réalisateur. L'homme d'affaire, dans un geste désespéré pour la garder auprès de lui, produit le film, dont il charge son fils de réaliser le making of, non pas pour offrir un bonus dans une future sortie en DVD, mais pour garder un œil sur les deux tourtereaux. N'ayant que l'image, il engage une assistante chargée de lire sur les lèvres des amants. Des idées comme celles-ci, des hommages directs au cinéma et à sa magie, ici, le muet, le film en regorge.
Le film développe différents thèmes propres au cinéma et qui servent le drame. Ainsi, la figure du double, non dans son sens moral (ambiguïté, duplicité), mais envisagé comme une duplication, une répétition ou une amplification, se décline tout au long du récit. Le premier plan du film met en scène les doublures lumière des acteurs ; le fils du financier porte le même prénom, Ernesto ; Mateo Blanca s'invente un pseudonyme, un second moi, en la personne d'Harry Caine ; Penelope Cruz incarne la maîtresse Lena qui elle-même endosse un rôle dans la comédie que réalise l'homme de sa vie, non pas une femme fatale comme on en voit dans les mythiques films noirs des années 50, mais une femme condamnée à la fatalité.
Ce film dans le film est lui-même une sorte de remake d'une œuvre d'Almodovar, Femmes au bord de la crise de nerfs, un remake dont le financier éconduit, doublement quitté, et à l'écran qui diffuse Lena et dans son dos où elle se place physiquement en restituant les paroles que les images taisent, va voler les bandes pour en changer le montage. Une œuvre sabotée par vengeance que 14 ans plus tard, Mateo reprendra, à l'aveuglette, donc. Car dans ce film, Almodovar place le montage au cœur du drame, en ce qu'il construit la narration. Son film jouit d'un agencement de scènes et de plans où tout est précisément à sa place. Des images à la symbolique forte, comme un baiser en gros plan, pixellisé, magnifié. Une image sui résume à elle seule l'amour que porte le réalisateur madrilène au cinéma. Un amour qu'il parvient à nous faire partager et à célébrer dans ces étreintes brisées. Mais curieusement, l'intention et la manière de la mettre en scène se montrent d'une telle limpidité qu'elle annihile toute émotion.
On sort de ce film conquis par la maîtrise, mais ni émerveillé ni subjugué. Au contraire, il ne subsiste rien d'autre de cette déclaration que sa froideur esthétique.
Moland Fengkov
La peau que j'habite
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