Nuits d'ivresse printanière - critique du film

:. Réalisateur: Lou Ye
:. Acteurs: Qin Hao, Chen Sicheng
:. Scénario: Lou Ye
:. Titre Original : Chun feng chen zui de ye wan
:. Durée: 1:55
:. Année: 2009
:. Country: Chine, France
:. Pays: Nuits d'ivresse printanière

  
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Jamais auteur autant harcelé par les autorités de son pays n'a filmé avec autant de liberté. Bousculer les tabous. Autant dire que Lou Ye sait s'y prendre. Censuré en 1994 pour son premier film, Week-end lover, interdit de sortie en Chine pour son deuxième opus, Suzhou river, banni pour cinq ans à l'issue de la présentation à Cannes en 2006 de Summer Palace (Une jeunesse chinoise), une histoire d'amour dans le contexte des événements de la place Tienanmen en 1989. Avec Nuits d'ivresse printanière, le cinéaste s'attaque à un nouveau sujet sulfureux : l'homosexualité, encore considérée dans son pays comme une maladie mentale.

Mais ce qui importe ici, c'est avant tout le récit de plusieurs histoires d'amour, complexes comme la plus banale des vies. Lou Ye explique : " Il ne s'agissait pas de raconter une histoire d'amour hors norme, mais une histoire vraie, de tous les jours. On entre sans phrase, sans mot, sans manière dans l'élan du désir, dans l'urgence de l'étreinte, dans l'amour physique. Dans la réalité. Pas déguisée, pas maquillée, pas magnifiée. "

Ainsi débute le film : deux hommes dans une voiture, qui s'arrêtent sur le bord de la route pour pisser, avant de se donner l'un à l'autre dans la scène suivante. Filmés alternativement avec une certaine distance, à la limite de l'espionnage pudique, puis au plus près de l'intimité des corps, les protagonistes livrent cependant à la caméra, portée tout au long du film, une vérité qui leur échappe, même au moment de la jouissance : une profonde solitude, une insoluble difficulté à errer, à flotter dans une vie rythmée par les murs que les relations amoureuses dressent sur leur chemin sans destination. Et lorsqu'ils ne finissent pas par se perdre, dans les bras de l'autre, dans les clubs interlopes, dans la mort elle-même, ils disparaissent littéralement sans laisser de trace, hormis l'épaisseur de leur souffrance.

Ce que filme avec une puissance poétique Lou Ye, c'est cette cruauté des sentiments. Un homme marié entame une relation avec un jeune clubber sans attache, tandis que le détective amateur que l'épouse suspicieuse engage se rapproche de sa cible avant d'entraîner sa propre petite amie dans une escapade à trois dont aucun ne sortira indemne. Servi par la magnifique musique de Peyman Yazdanian, par la photographie réaliste, proche du documentaire, de Zeng Jian, aux teintes crépusculaires, voire délétères, le film prend à la gorge et au corps le spectateur dès les premières séquences, le plongeant dans le marasme dans lequel baignent et s'enfoncent les personnages, pour offrir parfois de purs instants de grâce mélancolique, comme dans cette scène de karaoké, où il n'est plus question de sexualité, de guerre des genres, mais d'amour, au sens le plus pur. Car Lou Ye maîtrise l'art de l'oubli : devant sa caméra, ses personnages s'oublient pour mieux se livrer.

A l'image des extraits d'un roman de Yu Dafu, le film se pare d'une certaine poésie sans artifice, qui parle de l'intérieur et s'adresse à notre intérieur. Pour peu qu'on le laisse pénétrer, on en ressort avec le goût amer de sa propre solitude mais avec la certitude d'avoir vu un petit bijou de vérité.


  Moland Fengkov


     Summer Palace


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